Tunisie, Algérie, Égypte, Libye,… depuis des semaines, devant son poste de télévision, quel manifestant français ne s’est pas senti, à la fois enthousiaste, mais aussi un peu frustré, devant la détermination et l’illusion de l’efficacité de ces manifestations ?! Les médias, toujours en manque de sensations commercialement monnayables, en rajoutent – moments « historiques », « révolutions »... Tout dans les superlatifs ! Bref, de quoi donner le tournis aux modestes et impuissants manifestants que nous sommes.
La vision médiatique de l'histoire
Pour les médias, il faut de la violence, du sang, du cul… à défaut de cela ils se contentent de l’émotion et du sensationnel… Et l’émotion et le sensationnel, ils sont passés maîtres dans l’art de leur fabrication. L’usage du superlatif dans toute les descriptions est donc de rigueur et aide à la mise en condition du téléspectateur, ce qui est d’autant plus important que les plages publicitaires, qui coupent les différents reportages à la mode, se multiplient et voient leurs tarifs s’envoler. Le sens des affaires ne perd pas ses droits… même, et surtout, quand l’Histoire s’accélère. L’Histoire « marchandisée », il fallait le faire, nos médias s’y emploient avec talent.
La puissance de l’image dépasse le cadre de l’esthétique pour devenir du politique. Qui n’a pas vu en surimpression dans les images venant des pays en effervescence, au choix, qui la Prise de la Bastille, la Prise du Palais d’Hiver, voire la Chute du Mur de Berlin ?… L’Histoire qui se fait, avec la télé en continu, c’est comme si on y était ! D’ailleurs n’y est-on pas ?... Mis à part que, lorsqu’on éteint son poste, on se retrouve « gros Jean comme devant », aussi con qu’avant, avec ses problèmes… Alors on se met à rêver, rêver de faire comme là-bas, un peu comme on dit « Le couscous comme là-bas ! ». Oui mais, on est ici !
Les soi-disant « révolutions » en Tunisie, en Égypte, en Libye, font ressurgir les vieux fantasmes de toutes celles et tous ceux qui veulent vivre « leur » révolution. On avait connu ça à l’époque de la décolonisation et du castrisme, Et voilà qu’aujourd’hui, celles et ceux qui, dans leur jeunesse, avaient connu ça, reprennent l’espoir de voir une révolution en France avant de mourir.
Le mythe républicain
Qui n’a pas inconsciemment, et même consciemment, comparé les grandes manifs tunisiennes, égyptiennes, aux grandes manifestations que nous avons connu cet hiver contre la réforme des retraites ? On pouvait même entendre, dans certains milieux, et en tendant bien l’oreille : « Mais qu’est ce que l’on attend ? » Tous ces régimes du Moyen Orient qui voient leurs bases ébranlées par une révolte populaire sont, pour la plupart, des « républiques » - Égypte, Tunisie, Algérie, Libye.
Il est de notoriété publique que derrière le terme de République on peut mettre tout et n’importe quoi, et les classes dirigeantes – partout dans le monde - ne se sont pas gênées. Ces régimes « républicains » sont ainsi remis en question, ébranlés par la violence populaire. Pourtant chez nous, rien ne se passe, ou pas grand-chose, et même mieux, nos gouvernants, en Europe, après avoir collaboré honteusement avec ces régimes, les laissent tomber (après quelques hésitations il est vrai !), et vont même montrer la voix aux « révolutionnaires » : le peuple désire la Liberté. Il y aurait donc des bonnes « républiques » comme chez nous et des « mauvaises ».
Les « républiques/monarchies républicaines occidentales » n’ont pas l’air de paniquer concernant le vent de révolte qui souffle sur les pays arabes, sinon le risque de déstabilisation qui perturberait les « affaires ». Mais il n’y a pas que ça dans cette attitude, il y a aussi un message politique que l’on peut résumer de la manière suivante : ces peuples opprimés par des dictatures « républicaines » (on le reconnait enfin !) aspirent à un changement, à une démocratie – explicitement et implicitement sous entendu, comme la nôtre. Pourquoi tant d’assurance ? Pour ne raison simple : le système politique donne l’illusion du fonctionnement démocratique.
Le système électoral est une extraordinaire machine à désamorcer les conflits, à en faire de simples questions techniques qui, à l’extrême trouvent leurs solutions dans l’élection. Exemple en France : la classe politique est en train de nous mitonner une élection présidentielle où les candidats sont nommés de fait par les bureaucraties des partis politiques, où le bon peuple est soumis à un véritable bombardement médiatique à propos des candidats, et dont on sait que, quel que soit l’élu, rien ne changera. La différence entre des pays comme la France et ces « républiques dictatoriales », c’est que ici, les apparences sont sauves, l’illusion est parfaite. Dans ces conditions, même l’utilisation de la force donne l’illusion de l’équité, de la justesse et du bon droit.
Certes, les marges de manœuvres des politiciens sont beaucoup moins importantes dans ces « républiques démocratiques » que dans les « républiques dictatoriales », mais cela ne les empêche pas de bénéficier de privilèges exorbitants et de se livrer à des petites et grandes affaires, même parfois avec les « dictatures ». Des exemples, des noms ? Sans parler du « milieu des affaires » qui ne change pas d’un iota. Ce que perdent les politiciens en marges de manœuvres pour leurs affaires, ils le gagnent en stabilité du régime. Le calcul n’est pas stupide.
Le mythe révolutionnaire
Alors,… révolution ?
Bien sûr que non. Juste une révolte populaire contre la dictature, pour la Liberté de communiquer, de circuler. Révolte juste, honorable, légitime, une révolte positive, permettant sûrement de mieux vivre, mais finalement une simple révolte.
Le résultat ?
On peut le prévoir sans crainte d’erreur, dans le meilleur des cas la reprise du même système avec quelques variantes. Les faits les plus scandaleux gommés, une liberté d’expression, la mis en place d’une classe politique classique, avec quelques anciens collabos reconvertis à la « démocratie », une corruption et un népotisme « acceptables » (comme chez nous), un système de partis qui va s’autonomiser et gérer les contradictions sociales à coup de propagande officielle, de réformes plus ou moins rapides, plus ou moins conjoncturelles et d’élections orientées. Mais rien de fondamental, rien sur les inégalités, la répartition des richesses, l’intégration sociale…
Tout cela n’est pas nouveau. Nous avons vu ça en Russie, en Roumanie, bref dans les anciens pays de l’Est qui, miraculeusement sont devenus fréquentables et dont on peut voir l’évolution catastrophique et leur intégration dans le système marchand mondialisé. Les révoltes passent, les politiciens deviennent interchangeables, la propagande politique parle de valeurs, de droits de l’homme, mais les problèmes, les vrais, demeurent. Un processus révolutionnaire c’est le remplacement d’un système de rapports sociaux, par un autre type de rapports sociaux, et ce changement est fondé sur des valeurs, des structures alternatives, assumées collectivement, permettant d’assurer la transition. Or, de tout cela, rien du tout dans les révoltes des pays arabes. L’évolution manipulée par des bureaucrates (dont beaucoup de l’ancien régime) de la « révolution » tunisienne et égyptienne, en dit long sur ce qui se construit politiquement et socialement dans ces pays. Le bon peuple va pouvoir dépasser sa frustration dans les discours lénifiants des politiciens qui préparent, activement en France, et dans les autres pays européens, les prochaines échéances électorales.
Citoyenne, citoyen, ne descends pas dans la rue, la vérité va t’arriver par la télévision et ta voix sera exprimée dans le vote par lequel on va t’expliquer que tu peux construire ton avenir. Tu l’as cru jusqu’à présent… et tu vas continuer à le croire.
« La dictature c’est ferme ta gueule, la démocratie c’est cause toujours ! »
Patrick MIGNARD
Février 2011
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