L’instrumentalisation de la religion ou les méfaits de la culture sont une porte ouverte à l’oppression des femmes : mariages forcés, excisions, lapidation, choix imposés... Ces faits restent condamnables et il faut les traiter. Mais les politiques et les médias se préoccupent-ils véritablement de cette question ? En parlent-ils pour trouver des solutions ou au contraire est-ce un sujet utilisé pour voiler d’autres souffrances qui touchent les femmes dans leur quotidien ? Féministe et chercheuse au CNRS depuis 40 ans, Christine Delphy est la fondatrice des revues Questions Féministes et Nouvelles Questions Féministes avec Simone de Beauvoir. Elle revient sur ces problématiques.
Le 25 novembre 2010, à l'occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, le Premier ministre François Fillon a désigné cette dernière "Grande Cause nationale 2010". L’a-t-elle vraiment été ?
Non, mis à part un clip de sensibilisation subventionné par le gouvernement, il n’y a pas eu une véritable mobilisation autour de cette question. En réalité, ce n’est pas un sujet qui préoccupe les politiciens français contrairement à d’autres pays en Europe. En Espagne par exemple, il existe des tribunaux spéciaux et une loi organique pour traiter ce type de problème, une loi appelée contre la « violence de genre » et que la France a refusé de passer. Et lorsqu’une femme subit une violence ou est tuée, les gens se mobilisent immédiatement et l’événement apparait en première page dans les journaux. Or, en France ça ne fait jamais la une des journaux. C’est à peine si les médias y consacrent une ligne, même en cas de meurtre.
Pourtant, une campagne a été menée contre le port de la burqa qui est, selon la secrétaire d’État Fadila Amara, une question qui porte atteinte à la dignité et à l'égalité entre les hommes et les femmes ?
Une étude a estimé à 20 le nombre de burqas portées en Belgique et à 360 d’après les Renseignements généraux en France. D’autre part, les statistiques d’Eurostat démontrent que 40% de femmes (de cultures diverses) vivent sous le seuil de pauvreté en Belgique. Donc, le débat sur le port de la burqa est posé à l’envers. En réalité, cette polémique est une façon de minimiser ou de nier les agressions quotidiennes qui s’exercent contre les femmes. Une manière de détourner l’opinion publique des violences conjugales qui ont mondialement été reconnues comme étant la première cause de décès des femmes entre 25 et 44 ans. Ou encore, de nier que dans plus des deux tiers des cas, celles qui sont violées connaissent leur agresseur (mari, petit ami, meilleur ami, patron..). En revanche, le nombre concernant celles qui ne meurent pas mais qui subissent la violence jour après jour n’est pas calculé. Il le faudrait pourtant, car la mort n’est que le stade ultime d’un continuum de violences.
D’autre part, même si le gouvernement dévoile de temps à autre des statistiques sur ces réalités, c’est pour son propre intérêt. Il s’agit d’une stratégie pour donner l’impression qu’il est sensible à cette problématique. Mais en réalité, le problème est négligé et étouffé à travers la polémique sur le voile ou la burqa. Et si cette polémique parvient à rendre les gens plus méfiants et plus agressifs les uns envers les autres, c’est en raison des campagnes islamophobes. En effet, celles-ci véhiculent l’idée que le sexisme est plus conséquent au sein des familles de culture africaine et de confession musulmane. Pire encore, elles prétendent que ces faits existent chez des gens qui ne sont pas « comme nous » mais qui vivent chez nous. Or, tout cela est faux et aucune statistique ne justifient ces arguments.
Comment une femme peut-elle échapper à la violence ?
Je crois qu’il faut commencer par reconnaitre son état de souffrance pour ensuite entreprendre les démarches nécessaires comme porter plainte. J’ai pu constater que même les femmes qui osent réclamer de l’aide ont beaucoup de mal à appeler « violence » ce qu’elles subissent. Pourquoi ? Parce que dans leur culture - une culture occidentale ou maghrébine peu importe- il est normal qu’un homme se montre violent envers son épouse. Cela fait partie en quelque sorte de sa virilité. Par conséquent, il devient difficile pour une femme de distinguer une dispute qui serait accompagnée de « coups accidentels » d’une dispute accompagnée systématiquement voire fréquemment par de la brutalité. Certaines se persuadent même que leur conjoint peut les maltraiter pour ce qu’elles auraient dit de contrariant ou d’énervant.
D’ailleurs, dans « La domination masculine », ce très bon documentaire réalisé par le belge Patrice Jean, une femme d’âge moyen explique de quelle façon elle est parvenue à quitter son conjoint au bout de 20 ans de vie commune. Elle était battue constamment, sans motif apparent, sans même émettre de mots. Puis elle s’est aperçue qu’elle n’y échapperait jamais et qu’il fallait qu’elle parte.
Une chose qui vous donne la force de poursuivre la lutte ?
Sans doute le fait de constater qu’il existe des choses inacceptables et qu’il n’y a qu’une chose à faire : résister. Mais résister tout en me rappelant que je ne peux pas réformer les mentalités et les méfaits de certaines cultures ni en une semaine, ni même en 30 ans. Cela exige du temps.
En fait, vous partagez la même idée du sociologue Said Bouamama : « ...on émancipe jamais quelqu’un malgré lui, et qu’on ne libère pas quelqu’un malgré lui. Quand quelqu’un s’émancipe c’est parce qu’il l’a décidé et qu’il est entré en lutte ».
Exactement…
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