« Au moyen de la télévision, le centre
s’est assimilé tout le pays, qui était historiquement très différencié et
très riche en cultures originales. Une grande œuvre de normalisation
parfaitement authentique et réelle est commencée et comme je le disais,
elle a imposé ses modèles : des modèles voulus par la nouvelle classe
industrielle, qui ne se contente plus d’un « homme qui consomme » mais
qui prétend par surcroît que d’autres idéologies que celle de la
consommation sont inadmissibles. C’est un hédonisme néo-laïque,
aveuglément oublieux de toute valeur humaniste et aveuglément étranger aux
sciences humaines ».
Ainsi s’exprimait Pier Paolo Pasolini dans un
texte paru le 9 décembre 1973 dans la quotidien italien Corriere della
Sera sous le titre original « sfida ai dirigenti della televisione »
(défi aux dirigeants de la télévision).
Le boom économique et la généralisation de la télévision dans la
diffusion des informations, de la publicité et des idées ont permis la
transformation du prolétariat et des masses en petite bourgeoisie parce que,
toujours selon Pasolini, cette dernière peut se permettre, à la différence du
prolétariat, quelques menus extras une foi les dépenses vitales assurées. En
clair, elle peut rêver de consommer.
Mais cet acte qui pousse à dépenser son argent, à
acheter, à être complice et partisan de l’idéologie dominante de la
consommation, est-ce un acte libre ?
Absolument pas ! Le concept selon lequel un
individu n’achète pas pour ses besoins réels, mais pour des besoins
« provoqués », est d’ailleurs une des notions de base du marketing. La critique de la consommation de la part
des plus grands sociologues en est d’ailleurs issue. Avec un peu de recul, il
est aujourd’hui possible et sans risque d’être critiqué d’affirmer que
l’augmentation de la consommation a favorisé le repli sur la sphère privée au
détriment de tout engagement public. De ce point de vue, la société de
consommation a rendu les personnes culturellement et politiquement passives.
Le temps des idéologies paraît dans ce contexte
dépassé. Force est de constater que la période dans laquelle nous vivons est
dominée par la consommation, et que cette dernière ne permet ni n’autorise la
présence de concurrence à ses côtés. Elle a pour elle la force d’être infiniment
plus subtile que toutes les idéologies qui ont jusqu’à présent gouverné le
monde.
Très peu se rendent compte que nous vivons
aujourd’hui entièrement sous sa coupe. Pis, nous sommes placés entre le marteau
que représente la société de consommation et l’enclume que constituent les
politiques actuelles. La critique, l’opposition, le débat comptent dans ce
contexte pour du beurre. Parce que le marteau et l’enclume plaident tous les
deux la cause du macro-consumérisme et du néo-libéralisme.
Cette puissante aliénation nous a désormais
rendus totalement amorphes. Elle a fait de nous des automates qui travaillent,
vivent et consomment silencieusement. Des automates qui cherchent à exister en
imitant des modèles qui, désormais privés de toute personnalité, consomment pour
être intégrés eux-mêmes dans la société par d’autres. Aucun fascisme n’est parvenu à un tel résultat.
Le fascisme proposait un modèle, réactionnaire et
monumental, mais qui restait lettre morte. Les différentes cultures
particulières (paysannes, sous-prolétariennes, ouvrières) continuaient
imperceptiblement à s’identifier à leurs modèles, car la répression se limitait à obtenir leur adhésion en
paroles.
Pasolini estimait que « le fascisme n’a même
pas été capable d’égratigner l’âme du peuple italien tandis que le nouveau fascisme, grâce aux
moyens de communication et d’information (surtout, justement, la télévision),
l’a non seulement égratignée mais encore lacérée, violée, souillée à
jamais… ».
De nos jours, l’adhésion au modèle imposé par la
pensée dominante est totale et inconditionnée. On renie les véritables modèles
culturels. On peut affirmer que « la tolérance » de l’esprit hédoniste est la
pire des répressions de toute l’histoire humaine. La société de consommation est une
ordure !
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