On se souvient
du barouf, il y a une quinzaine de jours, autour de ce fait divers
pénible d’une jeune femme suivie et harcelée sexuellement dans le métro
de Lille par un jeune aviné, effondrée de constater que personne, sur le
quai ou dans la rame, ne lui ait porté secours avant que, dehors un
automobiliste ne finisse par la protéger.
Ce fut, des réseaux sociaux
aux journaux, en passant par les plateaux télé et radio, l’occasion de grands
réquisitoires indignés sur le thème de la honteuse honte des lâches.
Libération fut de la meute donneuse de leçon d’héroïsme en consacrant
pas moins de deux pleines pages à « cette lâcheté ordinaire ».
Beaucoup de
ces procureurs, dont certains ne prennent certainement jamais les
transports en commun de banlieue en fin de soirée, ne se sont même pas
donnés la peine d’évoquer le contexte et les circonstances de cette
agression, préférant invoquer, avec des trémolos dans la voix, l’article
223-6 du Code pénal qui réprime de 5 ans de prison et 75 000 euros
d’amendes la non-assistance à personne en danger.
Le contexte ?
Des services publics de transport qui ont progressivement retiré toute
présence de personnel sur les quais et dans les rames, où zonent en
soirée clochards et bandes de jeunes avinés. Les circonstances ? Les
services de sécurité du métro lillois ont précisé que l’enregistrement
de la vidéosurveillance « pouvait laisser croire qu’il s’agissait d’un couple qui se disputait » et il n’est pas établi que la jeune femme ait appelé au secours, elle même précisant par la suite qu’elle criait « bouge de là, je ne te connais pas, je veux rentrer chez moi ».
Si les « lâches »
qui étaient présents ont compris ce qui se passait, on peut sans aucun
doute pénalement leur reprocher de ne pas avoir alerté la police par
téléphone portable ou interphone local. Mais la notion de non-assistance
à personne en danger n’est pas aussi facile à invoquer à leur encontre
qu’on le fit sur les plateaux télés. Il n’y a en effet pénalement
obligation d’intervenir que s’il n’y a pas de « risque pour soi-même de
se mettre en danger », l’obligation étant, dans le cas contraire, de «
provoquer un secours ». Or il se trouve que beaucoup d’usagers des
transports en commun ont en mémoire ces faits divers réguliers – que
l’on apprend plutôt dans les pages du Parisien que dans celles de
Libération – avec ce nombre non négligeable de victimes tuées ou
grièvement blessées d’un coup de couteau ou d’un tesson de bouteille,
pour une cigarette refusée, un regard échangé, une remarque insupportée.
Accepter de prendre un risque vital est grand et héroïque – c’est la
définition du héros : faire de grandes choses en prenant des risques
mortels – mais ce n’est pas une obligation pénale.
Mais le paradoxe,
c’est que des héros, il y en a, mais ils intéressent moins les indignés
de la «lâcheté ordinaire». Et justement, quelques jours après le fait
divers négatif de Lille, un fait divers positif nous offrait un vrai
héros : Walid, un chef de chantier d’origine égyptienne de 47 ans, qui
est venu au secours d’une femme agressée par deux hommes qui voulaient
lui dérober son sac, Porte d’Ivry, dans le 13ème arrondissement de
Paris. Les deux voleurs ont insulté l’homme et lui ont intimé l’ordre de
ne pas se mêler de leurs affaires. Il s’est alors battu et l’un des
deux, sortant un couteau, l’a poignardé à quatre reprises dans le ventre
et le dos. Le Parisien nous apprend qu’au CHU du Kremlin Bicêtre les
médecins qui l’ont soigné lui ont précisé qu’à un demi-centimètre près les coups auraient pu lui être fatals.
Sa femme l’a engueulé
pour avoir joué au héros en prenant de tels des risques et son fils lui
a dit qu’il avait fait une « bêtise ». Pour faire plaisir à Libération ?
Même pas. Le quotidien a consacré une brève de 9 lignes à ce héros dont
il regrettait quelques jours auparavant qu’il ne s’en trouva point dans
le populo lillois ordinaire anesthésié par sa « lâcheté ordinaire ».
Libération semble plus empressé de faire écho à cette « lâcheté » qu’il
ne comprend pas, venant de ceux qui sont livrés à l’insécurité, qu’à
l’héroïsme de ceux qui ont encore la folie d’y résister.
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