mercredi 28 mai 2014

Lâcheté et héroïsme...en temps de paix.

2CCR  

On se souvient du barouf, il y a une quinzaine de jours, autour de ce fait divers pénible d’une jeune femme suivie et harcelée sexuellement dans le métro de Lille par un jeune aviné, effondrée de constater que personne, sur le quai ou dans la rame, ne lui ait porté secours avant que, dehors un automobiliste ne finisse par la protéger.

Ce fut, des réseaux sociaux aux journaux, en passant par les plateaux télé et radio, l’occasion de grands réquisitoires indignés sur le thème de la honteuse honte des lâches. Libération fut de la meute donneuse de leçon d’héroïsme en consacrant pas moins de deux pleines pages à « cette lâcheté ordinaire ».
Beaucoup de ces procureurs, dont certains ne prennent certainement jamais les transports en commun de banlieue en fin de soirée, ne se sont même pas donnés la peine d’évoquer le contexte et les circonstances de cette agression, préférant invoquer, avec des trémolos dans la voix, l’article 223-6 du Code pénal qui réprime de 5 ans de prison et 75 000 euros d’amendes la non-assistance à personne en danger.
Le contexte ? Des services publics de transport qui ont progressivement retiré toute présence de personnel sur les quais et dans les rames, où zonent en soirée clochards et bandes de jeunes avinés. Les circonstances ? Les services de sécurité du métro lillois ont précisé que l’enregistrement de la vidéosurveillance « pouvait laisser croire qu’il s’agissait d’un couple qui se disputait » et il n’est pas établi que la jeune femme ait appelé au secours, elle même précisant par la suite qu’elle criait « bouge de là, je ne te connais pas, je veux rentrer chez moi ».
Si les « lâches » qui étaient présents ont compris ce qui se passait, on peut sans aucun doute pénalement leur reprocher de ne pas avoir alerté la police par téléphone portable ou interphone local. Mais la notion de non-assistance à personne en danger n’est pas aussi facile à invoquer à leur encontre qu’on le fit sur les plateaux télés. Il n’y a en effet pénalement obligation d’intervenir que s’il n’y a pas de « risque pour soi-même de se mettre en danger », l’obligation étant, dans le cas contraire, de « provoquer un secours ». Or il se trouve que beaucoup d’usagers des transports en commun ont en mémoire ces faits divers réguliers – que l’on apprend plutôt dans les pages du Parisien que dans celles de Libération  – avec ce nombre non négligeable de victimes tuées ou grièvement blessées d’un coup de couteau ou d’un tesson de bouteille, pour une cigarette refusée, un regard échangé, une remarque insupportée. Accepter de prendre un risque vital est grand et héroïque – c’est la définition du héros : faire de grandes choses en prenant des risques mortels – mais ce n’est pas une obligation pénale.
Mais le paradoxe, c’est que des héros, il y en a, mais ils intéressent moins les indignés de la «lâcheté ordinaire». Et justement, quelques jours après le fait divers négatif de Lille, un fait divers positif nous offrait un vrai héros : Walid, un chef de chantier d’origine égyptienne de 47 ans, qui est venu au secours d’une femme agressée par deux hommes qui voulaient lui dérober son sac, Porte d’Ivry, dans le 13ème arrondissement de Paris. Les deux voleurs ont insulté l’homme et lui ont intimé l’ordre de ne pas se mêler de leurs affaires. Il s’est alors battu et l’un des deux, sortant un couteau, l’a poignardé à quatre reprises dans le ventre et le dos. Le Parisien nous apprend qu’au CHU du Kremlin Bicêtre les médecins qui l’ont soigné lui ont précisé qu’à un demi-centimètre près les coups auraient pu lui être fatals.
Sa femme l’a engueulé pour avoir joué au héros en prenant de tels des risques et son fils lui a dit qu’il avait fait une « bêtise ». Pour faire plaisir à Libération ? Même pas. Le quotidien a consacré une brève de 9 lignes à ce héros dont il regrettait quelques jours auparavant qu’il ne s’en trouva point dans le populo lillois ordinaire anesthésié par sa « lâcheté ordinaire ».

Libération semble plus empressé de faire écho à cette « lâcheté » qu’il ne comprend pas, venant de ceux qui sont livrés à l’insécurité, qu’à l’héroïsme de ceux qui ont encore la folie d’y résister.


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