« Tant que l'homme sera mortel, il ne sera jamais décontracté » écrit Woody Allen tout à ses angoisses existentielles.
Eh ben ça dépend !
Il est quelques rares cas de mortels qui, face à la mort, ont cet
étrange détachement qui laisse aussi admiratif que pantois. Une sorte de
distance ironique face à leur bourreau qui semble signifier que s’ils
sont bien la victime, l’autre est bien l’esclave, que si l’autre me tue,
il ne m’atteint pas et que malgré les apparences, mes liens me font
libre et ses armes le rendent faible.
Même pas peur.
Je suis plus fort, plus vivant, plus éternel que toi.
Ma maîtrise fait de moi le maître et renverse le rapport de force :
Feu !
Ainsi la fameuse désinvolture de l’ami Fortino Samano,
compagnon du révolutionnaire mexicain Zapata, face au peloton
d’exécution, mains dans les poches à mâchouiller son cigare et l’œil
goguenard du genre à dire - c’est quand tu veux mon vieux, surtout te
gène pas pour moi -.
Ainsi la grimace comme un bras d’honneur du jeune communiste résistant Jean Quarré au caméraman allemand juste avant d’être fusillé. (Nul doute que l’héroïque Michel Onfray, la Chantal Goya du concept, saura nous démontrer dans un de ces combats surhumains tout à éplucher du fond de poubelle, que Jean Quarré comme Guy Moquet
ne fut pas résistant mais qu’un vulgaire salopard bolchevik, mais c’est
une autre histoire qu’il nous racontera plus tard en faisant (de la
philo) dans son froc).
Ainsi cet espion russe en Finlande, le revolver sur la tempe n’ayant
pas l’air de prendre tout ça bien au sérieux, la vie, la mort et la
vodka…
Cul sec ?
Ainsi encore le sourire tranquille et triomphant de Larbi ben M’hidi,
héros national algérien, lors de son arrestation avant d’être torturé
puis pendu par le Général Aussaresses. Convaincu comme par évidence que
s’il tombe - un ami sort de l'ombre a sa place - et que c’est en mourant
justement que justement il gagne.
Ainsi enfin, Georges Blind, connu comme ‘le fusillé souriant’, subissant détendu un simulacre d'exécution, avant de mourir en déportation et que cette photo fasse le tour du monde.
D’où ces hommes, jeunes pour la plupart, tiennent t-ils donc cette
force, cette sérénité, cette drôle de plénitude là où chacun irait de
son désespoir ? D’où tirent ils encore cette liberté du pied de nez à la
mort tout autant qu’au tortionnaire dans un ultime « viva la muerte »
plein de morgue ?
Sans doute ont-ils compris qu’ils n’avaient rien à perdre que leur
vingt ans, autant dire pas grand chose quand on a vingt ans et que
lorsqu’on a rien à perdre on est maître du monde même désarmé. Alors que
nous qui osons si peu, connaissons les affres et l’extrême gravité de
louper les soldes de printemps et la sortie vitale du prochain I phone.
Sans doute aussi croient-ils par la force de leur conviction qu’ils
meurent pour quelque chose et que leur sacrifice leur survivra.
Je pense souvent quand je me baigne sur une de ces plages de
Normandie, que peut-être à l’endroit même où j’étends ma serviette un
jeune mec de l’Arkansas mâchant du chewing-gum est venu mourir pour que
je puisse faire trempette en toute insouciance et que l’Eurovision de la
chanson puisse cartonner à la télé.
C’est dire si ça valait le coup.
Je ne jurerais pas que les autres baigneurs avec glacière tout à
mater du monokini y pensent aussi. Mais ainsi va Eros et Thanatos et la
vie qui continue.
Le sourire de Fortino, de Jean, de l’espion russe, de Larbi ou de
Georges, c’est le sourire du chat d’Alice. Le sourire qui reste quand
tout a disparu. Le panache, l’élégance, l’honneur…
Même si on voit plus souvent dans ce monde trivial « un chat sans sourire plutôt qu’un sourire sans chat ».
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