Mercredi 14 mai, à Rome, les opposants au projet de LGV entre Lyon et
Turin ont révélé un document de la Commission européenne qui bouleverse
l’économie du projet. Il indique que le tunnel projeté ne servirait qu’à
transporter les passagers : les marchandises continueront à passer sur
la ligne existante. La rationalité économique du projet, déjà plus
qu’incertaine, s’en trouve réduite à néant.
Personne n’en a encore parlé en France, et ce sont les opposants
italiens au Lyon-Turin qui ont déterré l’information : un document
officiel signé par Laurens Jan Brinkhorst, le coordinateur du projet
pour la Commission Européenne. Son Rapport annuel d’activité 2012-2013 pour le Projet Prioritaire 6 contient une information qui bouleverse les données du problème.
Après avoir réaffirmé l’importance du grand projet PP6 (l’immense axe
ferroviaire qui devrait amener de Lyon à la frontière ukrainienne, en
passant par Trieste, Divača, Ljubljana et Budapest, et dont fait partie
le Lyon-Turin), l’ancien homme politique néerlandais se concentre sur
les travaux de l’organisme dénommé « Plateforme du corridor Lyon-Turin (PCLT) ».
Celui-ci comprend Brinkhorst lui-même pour la Commission européenne,
les autorités nationales, régionales et locales des deux Etats
concernés, les directeurs et les opérateurs de chemin de fer, le
promoteur du chantier LTF (Lyon Turin Ferroviaire), l’Observatoire, et les organisations représentant les intérêts de l’industrie et des futurs utilisateurs. Son but : « Réunir
toutes les parties concernées par le calendrier et la gestion de cette
importante infrastructure de transport afin de planifier, coordonner et
superviser les actions à entreprendre sur le corridor Lyon-Turin dans
les années à venir ».
Des réunions dont rien ne filtre
Brinkhorst indique que cet organisme s’est déjà réuni trois fois : à
Bruxelles en 2011, à Chambéry en 2012, et à nouveau à Bruxelles le 22
janvier 2013. « Personne ne sait ce qu’ils se sont dit", dit à Reporterre Paolo Prieri, du mouvement Presidio Europa, qui s’oppose au projet. "Aucun
document a été publié après les rencontres. J’ai déjà demandé à l’Union
Européenne d’avoir accès à ces informations, mais je n’ai pas eu de
réponse ».
Or, le document révèle que dans la troisième de ces réunions, les participants « sont
convenus de la nécessité de réactiver la ligne existante pour qu’elle
devienne l’axe ferroviaire principal pour le transport des marchandises
entre la France et l’Italie » (p. 11). Il s’agit d’une décision qui
change complètement les objectifs prévus pour le projet, puisque le
transport de fret est l’un des piliers du Lyon-Turin.
Le rapport à télécharger :
Pourquoi ont-ils changé d’avis ? Parce que, poursuit le coordinateur, « le
point de vue partagé est l’impossibilité politique de proposer la
construction d’une nouvelle ligne sans avoir entrepris tous les efforts
possibles pour rétablir la ligne existante comme artère principale de
transport après les travaux d’élargissement du tunnel ferroviaire
Fréjus/Mont Cenis ».
La ligne actuelle entre Lyon et Turin, qui traverse les Alpes par le
tunnel du Frejus, a été en effet rénovée récemment, en France comme en
Italie. Le profil du tunnel a été élargi et les installations
électriques ont été modernisées, y compris les outils pour la
communication et la signalisation. « Le coordinateur continuera en
conséquence à soutenir les efforts des deux Etats membres, notamment au
travers du travail du groupe de haut niveau sur la ligne historique ».
En outre, Brinkhorst explique que le financement promis jusqu’ici par
la Commission européenne pour effectuer les études n’ont pas encore été
versés à cause des lourds retards accumulés, surtout du coté italien : « En
décembre 2008 la Commission européenne a décidé de réserver 671,8
millions d’euros pour les études et les travaux sur le tronçon commun
italien-français pour la période 2007-2013. Le paiement effectif de ces
fonds dépend de la capacité des deux bénéficiaires à respecter les
échéances du projet indiquées dans leur soumission ».
Bruxelles a en effet « effectué un examen à mi-parcours de l’ensemble des décisions de cofinancement », en constatant « des
retards importants par rapport aux prévisions indiquées dans la
décision de cofinancement de Lyon-Turin. Des conditions ont donc été
formulées pour étendre la période d’admissibilité jusqu’à la fin 2015
afin d’utiliser le budget alloué (conclusion d’un nouveau traité,
approbation de l’avant-projet par les deux pays, et début des travaux à
La Maddalena) ».
Mais pour l’instant la « taupe » (un gigantesque excavateur
mécanique, d’un diamètre de six mètres et demi, qui a été amené au début
du mois d’août en Val de Suse et qui doit creuser le tunnel
d’exploration et d’accès de La Maddalena, près de Chiomonte) marque le
pas.
- Le tunnelier du Lyon-Turin -
« Seulement 641 mètres sur les 7 451 prévus ont été pour l’instant
creusés. Cela veut dire que la taupe a bougé de 2,5 mètres par jour,
contre les 10 prévus. Bien que le rythme soit censé doubler, seule la
moitié du tunnel sera achevée au 31 décembre 2015 », expliquent les opposants dans un communiqué.
Ce retard important risque de faire perdre les financements
européens : si les conditions ne seront pas remplies, l’UE pourra
refuser le financement. Lequel a d’ailleurs déjà été lourdement coupé
par rapport aux prévisions initiales. Dans une décision du 5 mars 2013,
la Commission Européenne a révisé le montant du concours financier, en
indiquant la chiffre de 395,2 millions € : 176,2 pour la France, 219
pour l’Italie. Soit une baisse de 41% par rapport à l’apport prévu en
2008.
L’économie du projet a par ailleurs été vivement critiqué en France par la Cour des comptes.
Même Brinkhorst ne paraît pas optimiste. Dans son document, il conclut que « les
événements pendant la période de référence ont, une fois encore, montré
les difficultés considérables que représentent les tronçons
transfrontaliers pour les gouvernements des Etats membres concernés. Ces
tronçons représentent une charge financière élevée tout en ayant une
priorité politique moindre que les projets nationaux. Ils demandent
également la coopération de deux pays qui ont souvent des priorités
divergentes et ne disposent pas d’une structure préexistante de
coopération ».
Photos :
. chapô : Alpes France 3
. chapô : Alpes France 3
. tunnelier : Mobilicites
Lire aussi : L’incroyable gaspillage du projet ferroviaire Lyon-Turin.
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