« Le pauvre, c’est celui qui a besoin de beaucoup » José Mujica.
C’est
par ces mots que le président uruguayen José Mujica a harangué ses
pairs à la tribune lors du Sommet de Rio + 20 en juin 2012. Cette simple
phrase nous donne l’opportunité d’expliquer le sacerdoce de cet homme
« normal » qui ne se contente pas de donner des ordres, il donne
l’exemple de ce qui doit être au service du peuple.
Qui est Jose Mujica ?
José
Mujica Cordano, surnommé « Pepe Mujica », est un homme d’État
uruguayen. « Ex-guérillero des Tupamaros dans les années 1960-1970, il a
été détenu en tant qu’otage par la dictature (1973-1985). Amnistié au
retour de la démocratie, en 1985, il abandonne la lutte armée pour
s’engager dans la voie électorale, en cofondant le Mouvement de
participation populaire (MPP). (...) Élu sénateur puis nommé ministre de
l’Agriculture du gouvernement Vázquez, en 2005. Mujica démissionne en
mai 2009 du MPP pour devenir le représentant de l’ensemble du Frente
Amplio Il l’emporta aux primaires de juin 2009, au sein de la coalition
de gauche du Front large (Frente Amplio) Le 25 octobre 2009, il arrive
en tête du premier tour de l’élection présidentielle avec 48% des voix.
Mujica est élu avec 52,9% des voix lors du second tour, le 29 novembre
2009, contre 42,9% des voix pour Lacalle 11 ; il sera investi le 1er
mars 2010 officiellement président de l’Uruguay. » (1)
Mujica se
distingue par son mode de vie, très éloigné du faste habituel de la
fonction présidentielle. Il a d’ores et déjà annoncé qu’il avait
l’intention de reverser 87% des 250.000 pesos mensuels (9 400 euros) de
son salaire de chef d’État à des organismes d’aide au logement social.
Délaissant le palais présidentiel, il habite la petite ferme de son
épouse, « au bout d’un chemin de terre » en dehors de Montevideo. Il
continue à y cultiver des fleurs avec son épouse, Lucía Topolansky, à
des fins commerciales, et donne environ 90% de son salaire présidentiel à
des organisations caritatives ou pour aider des « petits
entrepreneurs », conservant pour lui-même l’équivalent du salaire moyen
en Uruguay (environ 900 par mois). Le couple présidentiel bénéficie de
la protection de deux policiers à la ferme. » (1)
Un président vraiment différent
Le
président de la République d’Uruguay, José Mujica Gordano, n’est pas un
personnage comme les autres. Il se singularise par une indépendance
vis-à-vis de l’addiction à l’argent, contrairement à l’immense majorité
de tous les autres potentats, notamment arabes. Yann Arthus-Bertrand l’a
rencontré. Il lui donne la parole : « Mon nom est José Mujica Gordano,
je suis le descendant d’immigrants. Je suis un genre de paysan, qui
adore la nature... et j’ai dédié une part importante de ma vie à essayer
d’améliorer la condition sociale du monde dans lequel je suis né. En ce
moment, je suis président, je fais quelques trucs, j’en supporte
d’autres et je dis merci à la vie. J’ai eu quelques déconvenues, de
nombreuses blessures, quelques années en prison... Enfin, la routine
pour quelqu’un qui veut changer le monde. C’est un miracle que je sois
encore vivant. Et par-dessus tout, j’aime la vie. J’aimerais arriver au
dernier voyage comme quelqu’un qui arrive au comptoir et qui demanderait
au tenancier une autre tournée. » (2)
« J’ai passé, poursuit le
président Mujica, plus de 10 ans de solitude dans un cachot, dont 7 ans
sans lire un livre. J’ai eu le temps de penser et voilà ce que j’ai
découvert : soit tu parviens à être heureux avec peu, sans bagages,
parce que ce bonheur est en toi, soit tu n’accompliras rien. Ce n’est
pas l’apologie de la pauvreté, mais celle de la sobriété. Mais comme
nous avons inventé une société consumériste, l’économie doit croître.
Nous avons inventé une montagne de besoins superficiels ; nous vivons en
achetant et en jetant. Mais ce que l’on dépense vraiment, c’est notre
temps de vie. Parce que lorsque j’achète quelque chose ou que toi tu
achètes quelque chose, tu ne l’achètes pas avec de l’argent, tu
l’achètes avec le temps de vie que tu as dépensé pour gagner cet argent.
ÀA cette différence que la seule chose qui ne peut pas être achetée,
c’est la vie. La vie ne fait que s’écouler et quel malheur de l’employer
à perdre notre liberté. Car quand est-ce que je suis libre ? Je suis
libre quand j’ai du temps pour faire ce qui me plaît et je ne suis pas
libre quand je dois dépenser de mon temps pour acquérir des choses
matérielles censées me permettre de vivre. De fait, lutter pour la
liberté, c’est lutter pour disposer de temps libre. »(2)
« Je sais
que j’appartiens à une civilisation dans laquelle beaucoup de gens
diront : « Comme il a raison, ce monsieur » mais qui ne me suivront pas.
Parce que nous sommes comme pris dans une toile d’araignée,
prisonniers. Mais, au moins, il faut commencer à y réfléchir. J’ai
appris, pendant mes années de prison, à regarder la vie où elle se voit à
peine. Les fourmis... les fourmis crient, elles ont un langage... Les
rats prennent des habitudes, ils s’habituent à un horaire... Les
grenouilles remercient un verre d’eau dans lequel elles pourront se
baigner. J’ai appris la valeur des choses vivantes. J’ai aussi appris à
converser avec celui que j’ai en moi.(...) C’est un personnage que tu
oublies souvent face à la frivolité de la vie. Et je recommande de
regarder vers l’intérieur de soi-même. Et de moins regarder la
télévision, vers l’extérieur, et de parler avec celui qui est en nous,
avec ses interrogations, ses défis, ses reproches, ses blessures,... Je
crois que les gens parlent très peu avec eux-mêmes. » (2)
« Lutter,
ajoute le philosophe président, rêver et aller contre le sol en se
confrontant à la réalité, c’est tout ça qui donne sens à l’existence, à
la vie. Notre nature est telle que nous apprenons beaucoup plus de la
douleur que de l’abondance. Cela ne veut pas dire que je recommande le
chemin de la douleur ou quelque chose de ce genre. Cela veut dire que je
veux transmettre aux gens qu’il est possible de tomber et de se
relever. Et ça vaut toujours le coup de se relever. Une fois ou mille
fois - tant que tu es vivant. C’est le message le plus grand de la
vie. » « Sont défaits ceux qui arrêtent de lutter, et arrêter de lutter,
c’est arrêter de rêver. » Lutter, rêver et aller contre le sol en se
confrontant à la réalité, c’est tout ça qui donne un sens à l’existence,
à la vie. Pour les nouvelles générations, c’est une sorte de formule
pour affronter l’existence. Des défaites, il y en a quand tu as une
maladie et que tu as du mal à la vaincre ; des défaites il y en a quand
tu perds ton travail et que tu as des problèmes économiques. Mais on
peut toujours recommencer. Et c’est là, dans le fond, une expression
psychologique d’amour à la vie. Il faut être reconnaissant parce que
être vivant est un miracle ».(2)
Le révolutionnaire désabusé, mais heureux de la vie
En
réalité, conclut-il d’une façon réaliste : « Humblement, je suis un Don
Quichotte, toujours défait. Nos succès sont très éloignés des rêves que
nous avions... et des idées que nous faisions. Il y a 40 ans, c’était
assez simple : on croyait qu’il était possible d’arriver au pouvoir et
de construire une société meilleure en changeant le système de
production, blablabla, etc. Cela nous a coûté beaucoup de défaites et
puis nous avons compris qu’il était plus facile de changer une réalité
économique qu’une culture. Et le problème est que si toi tu ne changes
pas, rien ne change. La chose la plus transcendante pour nous tous sur
Terre, c’est celle à laquelle nous pensons le moins ! Et c’est d’être
vivant ! C’est un miracle ! Il y a des millions de probabilités contre
ce fait miraculeux qu’être vivant pour un humain. Comment ne pas aimer
ça ? Comment ne pas y faire attention ? Comment ne pas lutter pour
donner du sens à ce miracle ? (...) En ce moment, je suis dans une étape
de président et demain, comme n’importe qui, je serai un tas de vers qui
s’en va ».(2)
Humilité et sobriété en tout
Chloé
de Geyer d’Orth, nous résume en quelques phrases le bréviaire d’une vie
simple : « Malgré son élection à la présidence, Pepe Mujica n’en a pas
pour autant changé son style de vie. Il a refusé de s’installer dans le
palais présidentiel, préférant rester dans sa ferme située en banlieue
de Montevideo, dans laquelle il travaille et vit depuis vingt ans avec
sa femme Lucía Topolansky, qui partage son passé de guérillero. Pepe
Mujica a fait le choix de vivre avec le salaire mensuel moyen de son
pays, l’équivalent de 680 euros par mois. Il fait don de 90% du salaire
qu’il reçoit pour sa fonction de président et commandant en chef de
l’armée, soit 9300 euros, à des organisations caritatives, notamment
d’aide au logement et d’éducation. En parallèle de sa charge
présidentielle, Mujica continue avec sa femme la culture et la vente de
fleurs, un petit commerce qu’ils ont ouvert il y a déjà longtemps. Peu
porté sur les limousines et autres bolides, ce président se déplace
toujours dans sa coccinelle Volkswagen achetée en 1987, sauf pour les
déplacements officiels au cours desquels il utilise une simple Chevrolet
Corsa. « J’ai vécu comme ça la plupart de ma vie. Je peux vivre avec ce
que j’ai » explique-t-il. Sur la déclaration de patrimoine, un devoir
pour chaque élu uruguayen, ses seules possessions sont sa Coccinelle
bleue, la ferme dans laquelle il vit et qui appartient à sa femme, deux
tracteurs et du matériel agricole. Ce président ne possède ni dettes, ni
compte bancaire. » Cet ascétisme peu commun poursuit- elle, lui a valu
le titre de « président le plus pauvre du monde » par de nombreux
médias. Interviewé par les journalistes sur le sujet, la réponse de Pepe
Mujica est surprenante : « On m’appelle le président le plus pauvre,
mais je ne me sens pas pauvre. Les pauvres sont ceux qui travaillent
uniquement pour avoir un style de vie dépensier, et qui en veulent
toujours plus... » De cette philosophie de vie qu’il a développée
pendant ses années d’emprisonnement, Pepe Mujica se soucie peu des
protocoles liés à la fonction présidentielle. Député, il choquait déjà
son entourage quand il sortait de sa ferme pour se rendre au Parlement
en Vespa, ou au Congrès chaussé de ses bottes en caoutchouc pleines de
terre. (...) Son style vestimentaire ? Pepe Mujica est toujours habillé
très simplement, même lors des sommets mondiaux. Il aborde un style
décontracté, sans cravate et toujours avec ses vieilles bottines en cuir
usées. (..) » (3)
Durant l’hiver 2011, cinq Uruguayens sont
décédés d’hypothermie car ils n’avaient pu être accueillis dans les
refuges mis à disposition pour les sans-abris à Montevideo. Pour éviter
que ce type de situation ne se reproduise, le président de l’Uruguay,
Jose Mujica, a décidé que le palais présidentiel figurerait dorénavant
dans la liste des édifices publics servant au logement des personnes
sans domicile fixe. Actuellement, le président Mujica n’occupe pas la
résidence présidentielle « Suárez y Reyes » ne servant que pour les
réunions. Le 24 mai 2012, une mère sans-abri et son fils avaient demandé
à être réfugiés dans le palais présidentiel, mais ils avaient pu
finalement être logés ailleurs. En 2011, lors de la pénurie de refuges,
la ministre du Développement social, Ana Vignoli, avait été démise de
ses fonctions. »(4)
Dans un discours poétique à l’Assemblée
générale de l’ONU en septembre 2013 citant le poète Enrique Santos
Discépolo qui peint un monde de décadence, Mujica a livré aux leaders
mondiaux réunis à New York une vision obscure des temps à venir : « Nous
avons sacrifié, dit-il, les vieux dieux immatériels et occupons le
temple avec le dieu argent. Si l’humanité aspirait à « à vivre comme un
Nord-Américain moyen » « trois planètes » seraient nécessaires. Nous
avons besoin de nous gouverner nous- mêmes ou nous succomberons. Parce
que nous ne sommes pas capables d’être à la hauteur de la civilisation
que dans les faits, nous avons développée. C’est notre dilemme. » (5)
Le développement durable de la planète ; le combat des justes
Pepe
Mujica dénonce la société de consommation qui, selon lui, incite
l’homme à « vivre pour travailler » et non « travailler pour vivre ».
C’est ce qu’il qualifie « d’esclavagisme » moderne. « C’est une question
de liberté ». Si Pepe Mujica critique la société de consommation, c’est
avec la même ferveur qu’il dénonce « l’hypocrisie des sociétés modernes
et de leurs dirigeants » sur des questions telles que l’avortement ou
encore la toxicomanie. (..) « Il y a toujours eu de la drogue, les
drogues sont bibliques » déclare-t-il. Âgé de 78 ans et bientôt en fin
de mandature, Pepe Mujica s’apprête, sauf grosse surprise, à retrouver
sa vie vraiment « normale », dans sa ferme, et se consacrer à la culture
des fleurs avec sa femme.
En juin 2012, lors de la conférence sur
le développement durable des Nations unies, Rio + 20, le président de
l’Uruguay a fait un discours qui a été repris des centaines de milliers
de fois sur les réseaux sociaux. Extraits. « Nous ne pouvons pas,
déclare- t-il, continuer, indéfiniment, à être gouverné par les
marchés ; nous devons gouverner les marchés. [...] Les anciens penseurs
Epicure, Sénèque ou même les Aymaras disaient : Celui qui est pauvre
n’est pas celui qui possède peu, mais celui qui a besoin de beaucoup et
qui désire toujours en avoir plus.’ (...) Mes compatriotes se sont
battus pour obtenir la journée de travail de huit heures. Aujourd’hui,
ils travaillent six heures. Mais celui qui travaille six heures doit
cumuler deux boulots ; donc il travaille encore plus qu’avant.
Pourquoi ? Parce qu’il accumule les crédits à rembourser : la moto, la
voiture... toujours plus de crédits. Et, quand il a fini de payer, c’est
un vieillard perclus de rhumatismes, comme moi, et la vie est passée.
Je vous pose la question. Est-ce que c’est cela la vie ? Le
développement ne doit pas être opposé au bonheur, il doit favoriser le
bonheur des hommes, il doit favoriser l’amour, les relations humaines,
permettre de s’occuper de ses enfants, d’avoir des amis, d’avoir le
nécessaire. Parce que c’est précisément la chose la plus précieuse. Et,
dans notre combat pour l’environnement, n’oublions pas que l’élément
essentiel, c’est le bonheur des hommes »(6).
Pépé Mujica nous
incite à ne pas perdre de vue les fondamentaux de la vie. Nous sommes
sur Terre pour servir, et non pas se servir et encoure moins asservir.
Déjà Alexandre le Grand, sur son lit de mort, mettait en garde contre
les tentations qui nous font oublier la finalité première de la vie.
Cette leçon de vie est à méditer par les princes qui gouvernent. Cela ne
veut pas dire que des présidents « style Pépé Mujica » constituent des
exceptions. Nous aussi, nous avons eu en Algérie un certain Boudiaf
ascète concernant la culture de l’éphémère. On rapporte entre autres
qu’il a refusé de se vêtir de costumes du couturier italien Smalto en
insistant pour donner l’exemple avec des vêtements de la Sonitex. Ce fut
le cas aussi, d’après Paul Balta, d’un certain Boumediene qui mourut
sans héritage ; un compte en banque où il y avait à peine 6000 DA et une
voiture sur cales....
lexpressiondz.com
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