Dr Saleh Al-Naami - Middle East Monitor -
Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, pense avoir découvert
une recette permettant de garantir la légitimation de son refus de
quitter la Cisjordanie tout en tenant les Palestiniens pour responsables
de l’échec des négociations pour un règlement politique du conflit.
Cette recette consiste en l’exigence de faire reconnaître Israël
comme « l’État-nation du peuple juif » par les Palestiniens. À première
vue, on pourrait penser que la tentative de Benjamin Netanyahu d’imposer
cette revendication vise à garantir la préservation de la nature
démographique d’Israël, au motif que la reconnaissance du caractère juif
d’Israël par les Palestiniens impliquerait la renonciation des réfugiés
palestiniens à leur droit de retour sur des territoires dont leurs
parents et grands-parents ont été expulsés en 1948.
Malheureusement, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud
Abbas, a plusieurs fois souligné que la solution au problème des
réfugiés ne résidait pas forcément dans leur retour sur des territoires
dont ils ont été expulsés, ce qui a bouleversé le peuple palestinien. En
outre, Mahmoud Abbas a lancé un appel aux Israéliens lors d’une
interview sur Aroutz 2 le 2 novembre 2012, déclarant qu’il rêvait de
retourner dans la ville de Safed, que sa famille a quittée en 1948, mais
uniquement en tant que touriste.
Cependant, l’Autorité palestinienne dirigée par Mahmoud Abbas refuse
de reconnaitre le caractère juif d’Israël. En effet, Benjamin Netanyahu
part du principe qu’en faisant cela, les Palestiniens cèderont leurs
territoires aux Juifs, y compris la Cisjordanie, et leur permettront
ainsi de renforcer leur projet de colonisation. Lors de son discours à
l’occasion de la dernière conférence de l’AIPAC aux États-Unis, Benjamin
Netanyahu a prétendu que les récits sionistes concernant la propriété
des territoires palestiniens, et notamment de la Cisjordanie,
constituait l’unique « fait historique ».
Selon Benjamin Netanyahu, Hébron est « la terre des Patriarches, où
Abraham a acheté une grotte », Jérusalem le « royaume de David », et
Béthel (une colonie située au Nord de Ramallah) « l’endroit où Jacob a
rêvé ». Benjamin Netanyahu ne met pas en avant l’histoire juive en
Palestine pour illustrer « le prix » qu’il est prêt à payer pour trouver
une solution politique au conflit, mais pour justifier son refus de
faire de véritables concessions. Par conséquent, il n’a pas hésité à
s’engager auprès de son parti, le Likoud, à n’évacuer aucune colonie en
Cisjordanie en cas d’accord politique avec les Palestiniens (Ha’Aretz, 6
janvier 2014).
Cependant, Benjamin Netanyahu, qui soutient une seule version
historique, insiste non seulement sur la préservation des colonies, qui
couvrent au moins 12 % des territoires occupés en Cisjordanie, mais le
parti au pouvoir, dont il est le dirigeant, insiste également pour
conserver ce que l’on appelle le « Grand Jérusalem », qui représente
10 % des territoires cisjordaniens, et la vallée du Jourdain, qui en
représente 27 %. Ce qui laisserait aux Palestiniens seulement 52 % des
territoires cisjordaniens pour établir l’État indépendant de Palestine.
Il est regrettable que certains dirigeants occidentaux aient soutenu
la position de Benjamin Netanyahu et demandé aux Palestiniens de
reconnaitre le caractère juif d’Israël, dont le président des
États-Unis, Barack Obama, le Premier ministre britannique, David
Cameron, et la chancelière allemande, Angela Merkel. Il est avéré que
les États-Unis ont légitimé les conditions définies par Benjamin
Netanyahu pour les Palestiniens suite à leur reconnaissance du caractère
« juif » d’Israël. Le secrétaire d’État américain, John Kerry, a
rassuré les colons juifs de Cisjordanie en déclarant que son projet
d’accord ne requérait pas leur évacuation ou le démantèlement des
colonies, et qu’ils pourraient demeurer sur les terres censées être
allouées à l’État palestinien (Maariv, 19 février 2014).
Si l’on tient compte du fait que les Israéliens rejettent tout
élément impliquant une souveraineté réelle pour un potentiel État
palestinien, notamment le contrôle de ses frontières, la « Palestine
indépendante » du plan de John Kerry ne promet rien de plus qu’une
autorité autonome. Le prix de la reconnaissance du caractère juif
d’Israël pousse non seulement les Palestiniens de Cisjordanie à
rejoindre la diaspora, mais aussi les Palestiniens d’Israël, qui sont
des citoyens israéliens. Afin de garantir la « pureté ethnique »
d’Israël en tant qu’État juif, le ministre des Affaires étrangères,
Avigdor Lieberman, a proposé des échanges de terres et de population
entre Palestiniens et Israéliens.
Ceci aurait un impact sur les régions du Triangle et de Wadi Ara, où
vivent plus de 60 % des citoyens palestiniens d’Israël. Elles seraient
« échangées » contre l’acceptation par les Palestiniens de l’annexion
des colonies par Israël. En dépit de leurs droits en tant que citoyens
de l’État d’Israël, Avigdor Lieberman est convaincu que le droit
international autorise le transfert des Palestiniens en Israël, et ce,
même sans leur consentement (Jerusalem Post, 27 mars 2014).
La reconnaissance du caractère juif d’Israël par les Palestiniens
implique d’accepter l’adoption de lois racistes visant à préserver la
nature juive de l’État. Certains représentants de partis politiques
israéliens, notamment au sein de la coalition au pouvoir, n’ont pas
attendu cette reconnaissance pour adopter plusieurs lois racistes, dont
récemment la loi dite « de gouvernance », qui a augmenté le seuil
électoral afin d’empêcher les Arabes d’être représentés au Parlement
israélien. En outre, la reconnaissance du caractère juif d’Israël par
les Palestiniens légitime évidemment la discrimination envers les
Palestiniens en Israël. Selon une étude israélienne récente, le niveau
de services reçus par les citoyens arabes en Israël est inférieur à 60 %
de ceux fournis aux Juifs (The Marker, 10 mars 2014).
Outre le fait que Benjamin Netanyahu exige des Palestiniens qu’ils
adoptent « l’unique vérité historique », c’est-à-dire la version
sioniste de l’histoire de la Palestine, les ministres de son
gouvernement exigent le remaniement du curriculum palestinien afin qu’il
corresponde à cette vérité, comme l’a demandé le ministre de la
Défense, Moshe Ya’alon (Yediot Aharonoth, 15 mars 2014). Les
représentants israéliens considèrent l’insistance des Palestiniens sur
leur propre version de l’histoire palestinienne comme une
« provocation » incompatible avec une démarche de résolution pacifique
du conflit.
En d’autres termes, la reconnaissance du caractère juif d’Israël par
les Palestiniens implique une « sionisation » de la conscience
collective palestinienne, au sens propre comme au figuré.
Malheureusement, les États-Unis pressent les Palestiniens d’accepter la
version historique sioniste. Le 4 mars, le ministre israélien des
Relations internationales, Yuval Steinitz, a réussi à convaincre les
membres du Comité du budget du Sénat américain de demander la fin de la
« provocation » palestinienne envers Israël comme pré-requis pour le
maintien du soutien financier américain à l’Autorité palestinienne
(Maariv, 5 mars 2014).
Yuval Steinitz considère l’insistance des Palestiniens quant à leurs
droits historiques sur la Palestine comme une « forme de provocation »
devant être stoppée. Ironiquement, Yuval Steinitz lui-même a déploré il y
a quelques mois la mort du rabbin Ovadia Yosef, fondateur du mouvement
Shass, qu’il a décrit comme « un grand rabbin et un grand
intellectuel ». Il est intéressant de noter qu’Ovadia Yosef a contribué à
monter les Israéliens contre les Arabes, comme l’illustrent ses appels
répétés à « l’extermination » des Arabes qu’il considère comme
« diaboliques et odieux ». Selon lui, « il est interdit de se montrer
clément envers eux. Il faut leur envoyer des missiles et les anéantir »
(Ha’Aretz, 20 octobre 2013).
Le lourd fardeau de la reconnaissance du caractère juif d’Israël par
les Palestiniens sera supporté non seulement par les Palestiniens, mais
aussi par des centaines de millions de musulmans qui considèrent la
mosquée al-Aqsa comme le troisième lieu saint au monde. Plus d’un tiers
des députés de la coalition au pouvoir en Israël ont présenté un projet
de loi exigeant la souveraineté d’Israël sur le Noble Sanctuaire
d’al-Aqsa au motif que celui-ci a été construit sur les ruines d’un
temple détruit par les Romains en 135 après Jésus-Christ. Moshe Feiglin,
vice-président de la Knesset, membre éminent du Likoud et rédacteur du
projet de loi, a déclaré que le fait de placer la mosquée al-Aqsa sous
la souveraineté d’Israël constituait l’expression par excellence du
caractère juif d’Israël (Maariv, 25 février 2014).
Il ne fait aucun doute que la reconnaissance du caractère juif
d’Israël par les Palestiniens implique en réalité l’acceptation de la
liquidation de leur cause et la « sionisation » de leur conscience
nationale. Cependant, le peuple palestinien n’abandonnera pas ses droits
nationaux et politiques.
Quant à l’insistance de Benjamin Netanyahu sur « l’unique vérité
historique », il devrait examiner les conclusions tirées par l’historien
juif Chaim Gans dans son livre « A Political Theory for the Jewish
People : Three Zionist Narratives », qui réfute les arguments
historiques du Premier ministre israélien. « Si le peuple juif a quitté
Israël pendant 1 000 ans ou plus, préoccupé qu’il était par ce qu’il se
passait au delà de ses frontières », demande Chaim Gans, « comment
peut-il prétendre être le propriétaire historique de ces terres et le
demeurer après les avoir quittées ? ».
En résumé, si Benjamin Netanyahu modifie des faits historiques de
manière opportuniste et sélective afin de justifier ses opinions
politiques extrêmes et de garantir la prolongation du conflit, il est
regrettable que ceux qui se présentent comme « les représentants du
monde libre » lui portent assistance.
Photo : La violence perpétrée contre les Palestiniens dans leur propre ville de
Jérusalem est jugée comme nécessaire pour la réalisation d’une Jérusalem
exclusivement juive - Photo : Eugene Peress.
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