Lorsque 60 % des adultes en France décident de ne
pas aller voter, c’est le phénomène politique clé du scrutin. On parle en effet
de 60 % de 43 millions d’inscrits. Auxquels il faut ajouter au moins trois millions de gens qui ne se sont jamais
inscrits sur les listes électorales. Il s’agit donc de près de 30 millions de
français de plus de 18 ans. Cela fait une sacrée majorité !
Ces « non-électeurs » ont-ils choisi de ne pas
voter, ou leur non-participation est-elle le fruit du hasard ? Les spécialistes du sondage doivent le
reconnaître : quand on parle des ouvriers et des employés, on atteint 70 %
d’abstention ; quand on parle des cadres moyens et supérieurs, l’abstention
baisse à 50 % ! Ne pas aller voter aux européennes est donc bien une attitude de
classe sociale !
La conséquence est que le parlement européen, qui
de toute façon ne parlemente pas beaucoup (puisque c’est le lobby du capital, la
commission européenne, qui lui dit ce qu’il doit faire), est illégitime pour
l’écrasante majorité de la population. Et je ne vous parle même pas de la Guadeloupe qui s’est abstenue à plus de 90
% ! La lutte de classe, ils nous ont déjà montré qu’ils savaient ce que ça
voulait dire !
Essayons de comprendre les raisons des
abstentionnistes…
D’abord, il est facile de remarquer que toutes
les listes qui sollicitaient les suffrages des électeurs étaient toutes
favorables à l’Europe (y compris, d’ailleurs le Front national, qui ne cherche
pas à sortir de l’Europe, mais à renégocier les traités). Or, l’expérience
concrète de quelques dizaines d’années de « construction » européenne montre
bien que l’Europe est contre les ouvriers et les employés ; elle est pour la
baisse des salaires et des pensions, contre les services publics, pour le
chômage de masse, pour la concurrence entre les ouvriers des différents pays, et
pour les revenus fantastiques du capital.
C’est cette expérience concrète qui s’exprime
dans l’abstention. Et c’est pour cette raison qu’elle est le phénomène majeur de
ce scrutin, parce qu’il faut le reconnaître : ce sont les abstentionnistes qui
ont raison, et uniquement eux… Pas ceux qui prétendent « changer l’Europe »,
mais qui la soutiennent dans la réalité des faits en allant voter dans les urnes
du capital !
C’est tellement vrai que le capital dominant,
organisateur du scrutin et de ces débats, a fait des pieds et des mains pour
minimiser autant que faire se peut l’abstention. On a vu deux méthodes à
l’œuvre.
D’abord, la multiplication des listes. En
général, on nous explique qu’il faut limiter le phénomène, parce que ça
complique le scrutin, et que c’est malsain. Eh bien là, pas du tout : une
trentaine de listes ont pu concourir ! Au final, trois listes sont au-dessus de
15 points, 8 entre 15 et 1 point. Toutes les autres (une vingtaine donc) sont
en-dessous de 1 point ! Ah, mais c’est qu’il fallait ratisser large ! Le message
était clair : vous n’allez tout de même pas vous abstenir quand vous avez un tel
choix !
Petite remarque : la seule liste, à notre
connaissance, qui avait comme mot d’ordre « sortir de l’Europe », l’UPR, s’est précipité
dans le piège. Elle a dû certainement y laisser ses économies pour faire moins
de 0,5 % et avoir 1 minute et 30 secondes de « présence médiatique » ! Flattée
d’avoir réuni 77.000 électeurs (sur 43 millions…), elle n’est pas inquiète
d’avoir pris à contre-pied « la France profonde » d’abstentionnistes ! Bien joué
les gars !
Mais la lutte contre l’abstention s’est surtout
jouée sur la promotion du Front national. Présenté par nos médias comme le
champion de l’opposition à l’Europe (ce qui n’est d’ailleurs pas vrai, mais où
est le problème ? Quitte à mentir, autant ne pas faiblir !), sa « présence
médiatique » a été large et profonde. On peut d’ailleurs supposer qu’en effet,
un certain nombre de personnes, et parmi lesquelles des ouvriers et des
employés réellement hostiles à l’Europe, mais encore attachées au système, ont
choisi de voter FN. Tout le monde ne peut pas être au même niveau politique. Il
y a toujours des traînards… La presse a pu ainsi se flatter que l’abstention
n’avait pas progressé ce coup-ci, et qu’on était un peu en-dessous de
l’abstention des précédentes européennes. « Et y sont contents… ».
Mais le véritable enjeu est là : s’abstenir ou ne
pas s’abstenir, c’est soutenir ou ne pas soutenir le régime et ses modes de
régulation qu’on peut bien qualifier de pourris ! Les bonnes âmes remarquent,
doctement, que s’abstenir ne fait pas un programme. Naturellement. Mais ne pas
voter, c’est ne pas participer à l’abrutissement médiatique. C’est aussi ne pas
se poser les mauvaises questions et ainsi, se préparer aux bonnes réponses !
Est-ce si tordu, ce que je dis-là ? Pas tant que
ça, car on a une référence historique magistrale. Au milieu du
XVIIIème siècle, les historiens remarquent deux choses. D’une part,
la moitié de la population commence à savoir lire et écrire, c’est-à-dire que la
communication n’est plus exclusivement orale ; et d’autre part, on constate une
forte déchristianisation. Concrètement, dans les campagnes, les gens ne vont
plus à la messe.
Or, le pouvoir royal de l’époque, basé sur la
propriété foncière, était évidemment d’une très grande injustice : l’immense
majorité des paysans travaillaient à en mourir pour que quelques nobles
gaspillent l’argent qu’ils leur extorquaient ! Comment ce système pouvait-il
survivre une seule journée ? Tout simplement grâce à l’Église, entièrement dans
les mains des féodaux, et qui avait la fonction de faire accepter cette
injustice ! Priez mes frères et ne râlez pas, le paradis est pour vous ! Ne plus
aller à la messe n’était pas un programme bien sûr, mais c’était essentiel parce
qu’ainsi, les paysans se soustrayaient à l’influence du clergé. Ils étaient
ainsi disponibles pour des idées nouvelles. Les épis étaient mûrs pour la
Révolution française.
Le parallèle avec l’abstention est raisonnable.
Parce que nous vivons une immense injustice : le travail de la majorité de la
population, méprisée et exploitée, est dilapidée par une poignée d’accapareurs.
Comment cette injustice peut-elle se prolonger ne serait-ce que d’un jour ?
Parce que nous sommes convaincus que c’est nous qui désignons, démocratiquement,
nos dirigeants ! Rien n’est plus faux : que tu votes à gauche ou que tu votes à
droite, ce sont toujours les mêmes qui gagnent ! Voilà pourquoi s’abstenir aux
européennes, c’est faire le bon choix. Un choix d’avenir…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire