En 2000, Bernard-Henri Lévy (BHL), penseur de médias, pose, dans Le Point,
après le début de la deuxième Intifada – où des dizaines de jeunes
Palestiniens seront tués en quelques semaines -, cette question, qui
borne précisément l’étendue de sa délicatesse : «Est-ce ratiociner
que de se demander d’où venaient ces enfants, qui les avait mis en
première ligne, dans le cadre de quelle lugubre stratégie du martyre ?»
Quelques temps plus tard, pris, tout de même, d’une tardive pudeur : il promet, comme le relèvera le journaliste Alain Gresh (1), qu’après avoir entendu « des mères palestiniennes » lui «dire,
comme toutes les mères du monde, leur folle angoisse quand, à l’heure
de la sortie de l’école, elles ne voient pas rentrer leur fils», il n’«utilisera plus» l’ «argument» (dont il reconnaît donc, implicitement, qu’il est quelque peu dérangeant) selon lequel «les enfants palestiniens sont délibérément mis en avant, sciemment transformés en boucliers humains, etc.»
Mais hélas : BHL oublie ensuite cette bonne – cette excellente – résolution.
Et en 2009 – pendant que l’armée israélienne, lancée dans l’opération
“Plomb durci“, ensevelit Gaza sous des bombes qui feront des centaines
de victimes civiles -, il affirme, toujours dans Le Point (TDLP) : «Les dirigeants de Gaza exposent leurs populations : vieille tactique du “bouclier humain“.»
Puis d’ajouter : «Le Hamas installe ses centres de commandement,
ses stocks d’armes, ses bunkers, dans les sous-sols d’hôpitaux, d’écoles
et de mosquées – efficace mais répugnant.»
Et depuis : sa position n’a guère évolué.
Son avis, en 2014, est le même, exactement, que cinq ans plus tôt.
De sorte qu’il vient, de nouveau, de vitupérer (2),
juste après le déclenchement de la nouvelle attaque israélienne contre
Gaza, où des centaines de civil(e)s sont derechef massacré(e)s (3),
contre les dirigeants du Hamas, «ces monstres de cynisme qui, au
message du pilote annonçant qu’il va tirer et invitant les voisins à
quitter le quartier pour se mettre à l’abri, répondent invariablement :
“que personne ne bouge; que chacun reste à son poste; que 10, 100
martyrs offrent leur sang à la sainte cause, inscrite dans notre charte,
de la destruction de l’Etat des juifs“.»
Et bien sûr, BHL ne dit jamais d’où lui vient, exactement, sa
conviction que ces monstrueux Palestiniens n’aiment rien tant que de
faire tuer leurs administré(e)s : il ne produit jamais le moindre
preuve, à l’appui de ses accusations.
Mais il n’est pas contestable que ses assertions ressemblent d’assez près - pour le dire succinctement - à celles des propagandistes de l’armée et du gouvernement israéliens,
qui vont psalmodiant, à chaque fois qu’ils perpètrent dans Gaza un
nouvelle tuerie, que le Hamas sacrifie sciemment sa population (4).
Et certes, rien n’est neuf, dans ces proférations - déjà décortiquées dans un livre, paru en 2009, du journaliste Denis Sieffert, qui écrivait, après la fin de “Plomb durci“ : «La communication israélienne avance, comme chaque fois en pareille circonstance, la théorie des “boucliers humains“».
(Qui lui permet d’assurer que «les “fanatiques“ du Hamas
dissimuleraient leurs rampes de lancement de roquettes dans des hôtels
et des hôpitaux, au milieu de la population civile».)
Puis de constater que cette «vieille théorie» avait déjà «beaucoup servi, lors de la première intifada (1987-1993)», aux supporteurs du gouvernement israélien, qui n’avaient pas manqué, alors, de proclamer que «les
enfants lanceurs de pierres étaient envoyés par le Fatah – le Hamas, à
l’époque, ne jouait aucun rôle – pour que leur scartifice émeuve
l’opinion internationale».
Puis de conclure que «cet argument » - qui tendait «à justifier les bombardements sur des zones à très forte population» en exonérant Israël «de tout devoir envers la population civile» au prétexte que le Hamas agirait «au cœur même des zones urbaines» - participait «d’une tentative plus générale de déshumanisation des Palestiniens, moins attachés à leurs enfants que nous autres, Occidentaux».
Ce procédé pourrait donc, aujourd'hui comme hier, être regardé - par
qui userait là du même vocabulaire que BHL - comme assez profondément répugnant.
Mais lui, décidément, semble le trouver plutôt efficace.
Notes
(1) Qui relèvera qu’«ainsi, Bernard-Henri Lévy a besoin de faire
le voyage en Palestine pour comprendre que les mères palestiniennes ne
hurlent pas de joie quand tombent leurs enfants, que les Palestiniens
sont, tout simplement, des êtres humains.»
(2) TDLP.
(3) Comme des manifestant(e)s protestent contre cette épouvante : BHL les présente posément comme des «des milliers d’hommes et de femmes» déterminé(e)s à «s’en prendre à nouveau aux juifs ». Ces gens, explique-t-il, sont «des imbéciles doublés de salopards»…
(4) Bernard-Henri Lévy n’est bien évidemment pas seul à déclamer de
tels slogans : un certain Érik Emptaz, par exemple, écrit, dans Le Canard enchaîné de cette semaine, qu’il conviendrait que «le Hamas cesse, pour se requinquer politiquement, de transformer la population civile de Gaza en chair à canon»…
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