Saha 3idkoum
L’avion quitte l’aéroport de Barajas*.
Il grimpe vers les nuées, se redresse, les ailerons stabilisateurs claquent et
le voilà déjà survolant l’Andalousie perdue, chère à Babaci le président de la
Fondation Casbah à qui on a volé un canon, la caissette du dey Hussein et
quelques logements pour le recasement des gens de la Casbah.
Dans l’avion, le ministre algérien de
l’alimentation revient d’une conférence à Madrid où on a parlé d’oliviers,
d’olives et d’huile d’olive. Il est satisfait, on aura notre quota à l’OMC
comme on avait arraché notre quota de pêche pour le thon et l’espadon.
On nous a toujours dit que les côtes
algériennes sont gavées de poissons. Avec un littoral de 1.200 km dans la
Méditerranée chère à Braudel, la mer pourrait faire vivre tous les algériens en
restant au lit, sans travailler et, de surcroît, le poisson mariné dans de
l’huile d’olive kabyle ou celle de la plaine du Hadra* nous revigoreait avec des calories, chères à Hadj M’hamed El
Anka lui qui appréciait l’huile d’olive et l’espadon, d’où son surnom Le Phénix.
En attendant, le projet traîne depuis
l’ère Medelci au ministère de l’alimentation légère et du sergent Garcia*
(1985/86) père du slogan « ELLES
SONT NEES CHEZ NOUS ». Vous pouvez toujours les voir, les panneaux, accrochés
sur les façades d’immeubles aux Annassers à Hussein Dey ou place du premier mai.
C’était l’époque de Chadli, du sergent Garcia, du FMI et de l’Hebdo-Libéré,
hebdomadaire qui permettait quelques respirations grâce à son directeur, le
regretté Abderrahmane Mahmoudi.
Depuis, nous important les boîtes de
sardines du Maroc, le thon en miette d’Espagne et les écrevisses en chair de
Concarneau (Bretagne) que les mannées*
casbéennes grillent dans la poêle sans savoir ce que c’est. « Mange et tais-toi, ne cherche pas à
comprendre ! » Crie-t-elle à la petite Fadéla sa mousmée qui
embête « manée » avec des
questions idiotes du genre : « manée, qu’est-ce ces boîtes qu’on
ouvre et d’où sortent des sardines ? « mannée qu’est-ce ces sachets
d’où tombent des batatas frites en rondelles.»
Que sont devenues les années
Du temps jadis
Ou on allait goutter les huîtres
A Sidi Ferruch.
Le vin blanc mordoré
Scintillait sur nos lèvres
Et nos copines charmées
Excitaient notre fièvre.
(C’est de moi. Bon. Merci et
poursuivons.)
L’avion est à 8.000 mètres d’altitude,
hauteur ou personne ne vient vous embêter.
Le ministre suspend sa réflexion,
s’empare d’un journal, zappe les évènements de Gaza, stationne sur quelques
recettes de cuisine et passe à la page des sports. Il apprend que le Tour de
France se termine en même temps que le ramadan. Il sourit, poursuit sa lecture
quand soudain une hôtesse ibérienne lui présente une flûte de champagne et des
macarons LUSTUCRU.
Il se gave de macarons et de champagne
pendant qu’en-dessous, sur le territoire national cher à Saidani, Belayat et
Benkhadem, les algériens trainent leur corps déshydraté, la bouche sèche et
l’estomac en accordéon. C’est le ramadan ! Allah ghaleb.
Le ministre de l’alimentation revient à
ce qui s’était dit lors de la conférence à Madrid. Il ne connaissait les
problèmes de l’olive et du thon que par les dossiers que lui transmettent ses
conseillers et aussi par quelques souvenirs épars. Des relents gravés dans sa
mémoire gustative et olfactive du temps où il allait chez Sauveur à la Madrague,
lui reviennent.
Il s’enfonce ensuite dans une réflexion
platonicienne du temps de Périclès où les olives et le thon avaient nourri tout
le peuple hellénique. Même pendant les guerres du Péloponnèse (Vème siècle a.v
J.C), l’intendance d’alors avait compris que les guerres ne pouvaient se gagner
que par une bonne bouffe et la bonne bouffe c’est l’huile d’olive, le thon et
l’espadon. Ce que n’ont pas compris nos gouvernants amazighs qui, pour eux,
Périclès est un joueur du Bayern de Munich et le Péloponnèse, un stade situé
quelque part au Brésil !
Il se renseigne chez le passager assis à
sa gauche qui le corrige et lui explique : pendant la guerre du Péloponnèse, Il y eut beaucoup de morts autant
chez les spartes que chez les athéniens de la ligue des Délos. Des morts dus
aux flèches, aux massues, aux lances et aux clous tridents en forme de grappins
qu’Israël utilise aujourd’hui à Gaza dans ses bombes à déflagration et qui
déciment les enfants palestiniens. Hélas, il n’y a avait pas encore l’ONU
au Vème».
Aujourd’hui à Gaza, 24 siècles après Périclès, il n’y a toujours
pas d’ONU. L’ONU, ce machin comme dit l’autre, qui peut empêcher les guerres,
envoyer les casques bleus pour stopper le massacre des enfants palestiniens.
Mais ne nous dispersons pas. Donc, du
temps de Périclès, il n’y avait pas l’ONU, mais il y avait de l’huile, du thon
et de l’espadon qui nourrissaient les Hellènes alors que de nos jours les
enfants de Gaza se sustentent d’ordures car on leur interdit de pécher suite a
un embargo israélien que l’ONU tait et que l’Europe applaudit. « C’est quoi cette histoire de Gaza,
crie le président du MEDEF, c’est quoi ces ghazaouis. Deux millions d’habitants
confinés sur une plage où il n’y a même pas un port pour faire accoster nos
vraquiers, nos RO-RO* et tout ce que nos usines produisent. Ces gens-là n’ont
pas d’argent et mangent peu. Pas d’affaires à espérer».
Les cris du ventre vide des enfants
palestiniens ne montent pas les ascenseurs. Ils ne parviennent donc pas aux
oreilles au MEDEF, mais ils se répercutent et percutent l’Elysée, la mosquée de
Paris et le mur des lamentations. Un cri d’enfant ça résonne fort et ça va
loin ! Même ceux portés par le ventre des mères palestiniennes. Les mêmes
cris que ceux d’Auschwitz ou de Treblinka tels que le crie la shoah. On efface
tout et on recommence, chante le coryphée.
À Ghaza, les enfants de la rue ont faim,
les mères pressent le sein, aucune goutte ne sort. Les champs, les blés, les oliviers, ont été
saisis par les colons juifs pendant que la Ligue arabe saisit l’ONU qui a saisi
le gouvernement israélien par SMS lequel gouvernement a saisi son chef d’Etat-major qui a saisi la
manette pour envoyer des missiles tuer 1.000 palestiniens et blessés gravement
3.000 autres. Sans compter ceux par
milliers saisis de peur, de pleurs et…..de haine qui se perpétuera « jusqu’à la fin des temps » comme
dit la Thora et le prescrivent les fabricants d’armes.
Le ministre réfléchissait. Il change de
logiciel, la flute de champagne toujours à la main. Il découvre que la
catastrophe de la pénurie d’huile en Algérie a commencé en 1968 lorsqu’un « mokh » avait ordonné de
procéder à l’arrachage de la vigne. Ceci avait engendré la peur de nos bons
fellahs de Kabylie de voir aussi disparaitre leurs oliviers par un décret pondu
par le dit « mokh ». Comme
la poule pond des œufs, le « mokh » pendait des décrets pour
interdire le vin, des circulaires pour mettre fin au travail des cireurs - « Un homme ne se met jamais à
genoux », clamait-il. Ce que fait la Ligue Arabe aujourd’hui. Les
fellahs, influencé par les gesticulations du « mokh », abandonnent les oliviers soumis à la tristesse
et l’usure du temps. Plus tard l’essaimage des sachets de plastique noir et des
canettes de bières bigarrées défigureront la Vallée de la Soummam tel un
tableau de Gauguin dans ses périodes de crises. Les kabyles se mirent alors à
penser, telle l’œuvre de Rodin. Penser à ce qu’ils devraient faire de leurs
oliviers puisqu’on a arraché la vigne. Un cousin, de retour de Tunisie leur dit
qu’il avait entendu le « mokh »
haranguer la foule en criant « ehna
a3rab, ahna a3rab, ahna a3rab ! Trois fois. Alors que les kabyles se
croyaient profondément kabyle. Ils ont
eu peur.
De tout cela, il en parlera au Président
lors du prochain conseil, pensait le ministre.
«
Attention nous allons atterrir sur l’aéroport Houari Boumediene » annonce le
pilote.
Le ministre avale le dernier macaron,
lape le reste de champagne et boucle sa ceinture alors qu’au même moment, sous
l’avion, à Baraki, derrière un muret, un maçon mangeait des biscuits BIMO.
Il mangeait, guilleret, mastiquant dru
jusqu’à la dernière mie. Soudain un gendarme surgit : « Tu es pris », crie le gendarme. Le maçon se lève et
lève les mains en l’air. « Tu sais
que c’est le ramadan et tu manges. Ma tahchemche ! »*
Le maçon, hagard, le cœur battant dit
simplement : « J’avais
faim »
Les deux hommes avancent, le gendarme
jubile, le maçon devant, lui derrière. La DGSN, pour son bulletin mensuel aura
ses statistiques de délits commis.
Le lendemain, on présente le maçon au
juge du tribunal de Baraki.
- Nom et
Prénom, demande le juge.
- …….
- Tu sais
pourquoi tu es là ?
- Oui, j’ai
mangé.
- Tu n’as
pas honte. Tu sais que c’est le ramadan.
- J’avais
faim et soif aussi. Je suis maçon, j’ai un dur travail.
- Moi aussi
je travaille, dit le juge.
- Oui, je le
vois.
- Dis-moi…
comme ça… entre nous, tu es laïc ?
- Non, je
suis kabyle.
- Que fait
ton père.
- C’est
l’imam de Baraki.
- De mieux
en mieux, dit le juge.
- Sais-tu
que c’est hram et que Dieu te
regarde, même caché derrière un mur.
- Je ne le
savais pas.
- Comment ça
tu ne le savais pas. Ton père est imam.
- Je ne
savais pas que Dieu regarde derrière les murs, je veux dire. Ouallah !
- Dieu est
partout, surveille tout, sait tout. En plus tu nous compliques notre existence
à faire des dossiers, des statistiques et nos camions cellulaires à consommer
de l’essence pour te transporter jusqu’ici. Le sais-tu ?
- Non je ne
le savais pas. Je pense que j’ai fais une petite bêtise, je reconnais, mais je
ne suis pas impliqué dans le détournement d’une banque ou dans des transactions
financières comme Moumène Kellifa ou Chakib Khellil. Moi, j’ai seulement mangé
BIMO que j’ai acheté 50 dinars. Dieu doit le savoir si vous le dites.
- Dieu est
intraitable sur les cinq piliers de l’islam. Tu as transgressé l’un des
piliers, crie le juge
Le maçon
regarde à gauche, regarde à droite puis dit :
- Dans sa
mansuétude, je suis sûr que Dieu pardonnera. Je suis un petit maçon !
- Mais c’est
le ramadan, crie le juge en colère.
- Je suis
fatigué, monsieur le juge dit le maçon. Je reconnais tout. J’ai triché en mangeant un biscuit BIMO. Que
peut-il m’arriver alors que d’autres ont volé nos banques et notre pétrole.
- Pas de
comparaison. Eux ne troublent pas l’ordre public. Je vous donne une semaine d’enfermement en
cellule. La séance est levée.
Au moment où
le juge finissait sa phrase, l’avion d’Air Iberia atterrit sur le tarmac de
l’aéroport Houari Boumediene. Le ministre quitte l’aéroport, monte dans la
voiture de service, la portière arrière claque, la voiture démarre. II est 13
heures, l’heure de la prière.
- Aissa, dit
le ministre au chauffeur, emmène-moi à la grande mosquée. Je ne veux pas rater
la prière du dohr*.
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* Barajas : aéroport de Madrid.
*Hadra : plaine de
l’Oranie, communément appelée la plaine du Sig dans la Medjerra et aussi La
Macta où s’étaient déroulées la bataille de la Macta lors de la conquête
coloniale (Bataille de la Macta)
*mannée : terme algérois
pour grand-mère.
* matahchemche : tu n’a
pas honte.
*Dohr : prière du milieu
de la journée, au soleil zénithal. Celle de Vendredi, sans être obligatoire,
elle est cependant recommandée afin de rassembler les fidèles.
*mokh : intelligent, un géni
* Vraquier,
RO-RO : gros bateaux pour le transport des céréales ou de containers.
Abderrahmane
Zakad - Urbaniste/scénariste- Alger- Juillet 2014
(Histoire créée par l’auteur. Tiré de son
recueil humoristique en cours d’édition.)
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