Un
réseau d’ONG s’alarme de la montée en puissance des « institutions
financières de développement » (IFD), mandatées pour soutenir les
investissements du secteur privé dans les pays émergents.
Ces banques dépendent de l’argent que leur versent États ou organisations internationales. Mais, peu contrôlées, elles auraient une fâcheuse tendance à favoriser les multinationales des pays riches, voire à financer des projets privilégiant la rentabilité économique plutôt que l’utilité sociale des investissements. Quitte à solliciter, si nécessaire, des fonds implantés dans les paradis fiscaux...
Ces banques dépendent de l’argent que leur versent États ou organisations internationales. Mais, peu contrôlées, elles auraient une fâcheuse tendance à favoriser les multinationales des pays riches, voire à financer des projets privilégiant la rentabilité économique plutôt que l’utilité sociale des investissements. Quitte à solliciter, si nécessaire, des fonds implantés dans les paradis fiscaux...
L’aide
publique au développement (APD), en direction des pays pauvres,
connaît-elle une privatisation silencieuse, déconnectée des besoins des
populations mais conduite au plus grand bénéfice des entreprises
multinationales ? Tandis que les parlementaires français entendent réduire
le budget national consacré à cette aide publique, un rapport publié
vendredi 11 juillet par le Réseau européen sur la dette et le
développement (Eurodad)
s’inquiète de la montée en puissance et de l’opacité de fonctionnement
des institutions financières de développement (IFD). Celles-ci sont en
charge des aides orientées vers le secteur privé des pays émergents. Et
pour elles, entreprises et marchés sont désormais considérés comme les
principaux leviers de leur développement.
100 milliards pour « favoriser les investissements privés »
Qui sont ces « IFD » ? Banque européenne d’investissement (BEI),
Société financière internationale (SFI) rattachée à la Banque mondiale,
ou encore, en France, la société Proparco [1],
une filiale de l’Agence française de développement (AFD). Elles
mobilisent des capitaux en augmentation constante depuis le début des
années 2000. Selon Eurodad, ces montants devraient atteindre, à
l’échelle mondiale, les 100 milliards de dollars en 2015, soit
l’équivalent des deux tiers de l’aide publique au développement. Fournie
directement par les États pour, par exemple, soutenir l’accès à
l’éducation ou la lutte contre le paludisme, l’aide publique tend à
diminuer dans la plupart des pays européens. Au contraire des
financements destinés, via les « IFD », à investir sur des projets
portés par les entreprises dans les pays pauvres, en leur apportant des
prêts, des garanties, voire une participation directe à leur capital.
Illustration de ce dispositif, la BEI et Proparco vont avancer
respectivement 200 millions et 50 millions d’euros, sous forme de prêts,
pour le financement du « plus grand parc éolien d’Afrique subsaharienne », qui doit s’implanter près du lac Turkana dans le Nord du Kenya [2].
Le projet prévoit l’installation de 350 turbines, qui seront exploitées
par un consortium réunissant des entreprises privées et des agences
d’investissement européennes, tandis que « les français Siemens et Bolloré assureront respectivement la partie électrique et le transport des éoliennes ». « Les
investissements réalisés par le secteur privé européen offrent
d’immenses perspectives au Kenya ainsi que pour le développement de
l’ensemble de la région », a commenté Lodewijk Briet, ambassadeur de l’Union européenne.
Les multinationales au service du développement ?
Cette stratégie du « développement par le marché » est-elle
profitable aux pays concernés ? Dans son rapport, issu d’une enquête
menée pendant deux ans, Eurodad dénonce, chiffres à l’appui, une
distribution des aides orientée en priorité vers les société
multinationales des États les plus riches. L’organisation met en doute
leur pertinence pour la satisfaction effective des besoins sociaux des
populations. Entre 2006 et 2010, seules 25 % des entreprises aidées par
la BEI et la SFI appartenaient à des pays à bas revenu, tandis que 50 %
des aides étaient distribuées à des sociétés des pays de l’OCDE, voire
même domiciliées dans les paradis fiscaux ! 40 % de ces aides concernent
des entreprises de très grande taille, cotées sur les plus grandes
places boursières de la planète. Ces nouvelles formes de financements
ont donc tendance à sous-traiter le « développement » des pays pauvres
auprès des entreprises multinationales des pays riches.
Ce qui s’explique aisément, si l’on considère la très faible
représentation des pays en développement dans les comités de décision de
ces institutions. Ces derniers ne pèsent que 1,4 % des voix au sein de
la BEI, tandis que la SFI leur autorise 28 % des droits de votes.
L’ambiguïté des missions confiées est également pointée du doigt : « Bien
que la plupart de [ces institutions financières] aient reçu un mandat
en faveur du développement, elles sont organisées comme des entreprises
privées, avec des objectifs de rentabilité commerciale impliquant des
compromis entre ces différentes considérations », relève Eurodad.
Hôtellerie de luxe et lotissements pour riches
L’impact réel des projets financés sur les conditions de vie des
populations concernées pose question. Ces politiques d’inspiration très
libérale conduisent en effet les IFD à orienter 50 % des subsides en
direction du secteur financier des pays émergents, qui n’est pas
spécialement connu pour ses velléités redistributives. Autre exemple
d’investissements à la portée plus que discutable, la SFI aurait financé
deux multinationales de l’hôtellerie de luxe, Mövenpick et Marriot, à
hauteur de 79 millions de dollars, pour les aider à s’implanter au Ghana
et en Jamaïque, tandis que la banque de développement de
Grande-Bretagne soutenait la construction de lotissement fermés, des gated communities, dans plusieurs pays pauvres.
Côté français, la nature et les investissements de Proparco attirent
également l’attention. Comme l’indique le site internet de l’agence, des
groupes comme BNP Paribas, Bouygues, ou encore Bolloré Africa Logistics, figurent à son capital, aux côtés de l’AFD qui en est l’actionnaire majoritaire. « Potentiellement, ces entreprises peuvent aussi solliciter des financements, relève Mathilde Dupré, du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD). Cela peut soulever quelques interrogations. » Le groupe Veolia, lui-aussi actionnaire de Proparco, est précisément dans ce cas de figure. Fin 2007, Proparco est en effet entrée au capital de Veolia Water AMI, « filiale
de Veolia Eau, opérateur des services de l’eau, de l’assainissement et
de l’électricité sur l’Afrique, le Moyen-Orient et le sous-Continent
Indien ». L’indépendance et l’intérêt des actions menées par cette
agence, qui n’utilise pas d’argent public mais est adossée à l’AFD,
demanderaient à être examinées dans les détails.
Quand l’aide au développement passe par les paradis fiscaux
Dans le cadre de discussions sur la loi d’orientation des politiques de développement adoptée le 7 juillet dernier, les parlementaires ont pourtant bloqué
deux propositions d’amendement introduites à la demande des ONG, qui
réclamaient une plus grande transparence des critères de sélection des
projets financés, ainsi que sur la liste des bénéficiaires de ces aides.
Pourtant, députés et sénateurs ont été informés des dérives de
Proparco, via un article du Canard enchaîné du 11 juin 2014, révélant
comment l’agence avait investi plus de 400 millions d’euros dans des
sociétés situées à l’Île Maurice, aux Caïmans, au Luxembourg, ou encore à
Chypre et à Jersey, tous des paradis fiscaux. Ces fonds
d’investissement étaient ensuite chargés de réinvestir les montants
alloués dans les pays en développement. Pour le plus grand bénéfice de
leurs populations, comme on peut l’imaginer.
« Proparco, malgré son mandat de développement, agit comme
n’importe quel investisseur privé, guidé par la rentabilité des projets
plus que par leur impact réel sur l’amélioration des conditions de vie
des populations des pays du Sud », constatent, dans un communiqué,
les membres de la Plateforme Paradis fiscaux et judiciaires, composée
d’ONG, d’associations et de syndicats français. Le réseau Eurodad
s’inquiète de son côté de « l’expansion rapide » des IFD et « des nombreuses questions posées par leurs pratiques ». « Elles
sont contrôlées par les pays riches, et leur stratégie comme leur
gouvernance intègrent très peu le point de vue des pays en
développement. Le temps est venu d’une évaluation indépendante de ces
institutions et de leurs opérations ».
Notes
[1] Société de promotion et de participation pour la coopération économique, créée en 1977 pour « favoriser les investissements privés dans les pays en développement ».
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