Gilles Devers
Le
droit repose sur la qualification des faits : tout montre qu’Israël
commet, sous nos yeux, des crimes contre l’humanité et des crimes de
guerre, et les auteurs – des exécutants aux commanditaires – devront
être jugés.
Les
définitions des crimes de droit international résultent d’un long
processus, qui a conduit à définir des règles si fortes qu’elles sont
reconnues par tous les Etats, ou presque, et qu’elles doivent être
appliquées même en temps de guerre. Ces règles sont devenues de droit
coutumier, donc opposable même aux Etats voyous qui comptent s’en tirer
en refusant de ratifier les traités.
La
meilleure – et incontestée – définition de ces crimes résulte du traité
de Rome de 1998, qui a institué la Cour Pénale Internationale.
La
guerre repose sur l’usage de la force armée, et donc suppose de causer
des pertes – matérielles et humaines – aux troupes adverses. Il faut
donc frapper plus fort que la partie adverse, pour l’emporter, mais tout
n’est pas permis. Le concept souvent mis en avant est celui de la
proportionnalité. C’est effectivement une donnée pertinente, mais elle
est très insuffisante, car nombre d’actes sont déclarés illicites en
eux-mêmes. Par exemple, viser et bombarder des établissements de santé –
Israël l’a fait sur cinq hôpitaux, avec des victimes et des
destructions – est toujours un crime de guerre. La question de la
proportionnalité ne se pose pas.
I – Quels sont les faits
1/ 2 juin, le gouvernement d’union
Après
le constat de l’échec de la phase dite des négociations entre la
Palestine et Israël, l’ensemble des forces politiques palestiniennes –
et non pas seulement le Fatah et le Hamas comme on l’entend tous les
jours – ont conclu le 23 avril 2014 un accord de réconciliation, avec la
constitution d’un gouvernement d’union nationale le 2 juin 2014, ayant
pour mission notamment d’organiser des élections générales.
Les
dirigeants israéliens ont dénoncé cet accord, et ils ont immédiatement
engagé un processus de sanctions collectives en bloquant les droits de
douanes destinés à l’ANP (Accord de Paris), car le grand péril pour eux
est l’unité du peuple palestinien. C’est dire qu’immédiatement, le
gouvernement israélien se place dans la logique des punitions
collectives, interdites par le droit international… et les principes
élémentaires d’humanité.
2/ 12 juin, le rapt et le 13, la déclaration de Netanyahou
Le
12 juin, dans la région de Hébron, de jeunes Israéliens résidant dans
les colonies illégales, qui rentraient à leur domicile en faisant de
l’auto-stop, ont été pris en rapt. Il n’y a eu aucune revendication
politique. Les corps des trois jeunes ont été retrouvés le 30 juin. Il
s’agissait d’un évènement relevant du banditisme.
Dès
le lendemain, le 13 juin, le premier ministre israélien a imputé le
fait « au Hamas », annonçant des représailles du plus haut niveau : « Ils ont été enlevés par des gens du Hamas. Il y aura de graves conséquences ».
Le
Hamas a démenti toute implication, et a dit être totalement étranger à
ces faits de banditisme. Depuis cette date, aucun élément n’est venu
apporter le moindre élément prouvait faire suspecter une implication du
Hamas dans ce rapt, suivi de la mort des trois jeunes.
Il est clair que dirigeants d’Israël ont instrumentalité ces faits, avec un double but :
- - créer une tension telle qu’elle pourrait remettre en cause le gouvernement d’union nationale,
- - préparer une opération militaires contre la population de Gaza et la Résistance armée à Gaza.
3/ Une répression irraisonnée en Cisjordanie
Les
dirigeants israéliens ont d’abord conduit une répression irraisonnée en
Cisjordanie, sans aucun rapport avec la recherche des auteurs. La
répression a été très dure, causant des blessés et des morts, et il a
été procédé à des arrestations par centaine, de manière totalement
arbitraire, dès lors qu’il n’existait aucun indice entre le rapt et les
arrestations.
Plusieurs
députés palestiniens ont été arrêtés. Les dirigeants israéliens ont
profité des circonstances pour arrêter de nombreuses personnes sans
griefs, mais simplement parce qu’ils faisaient partie de l’accord de
libération de détenus conclus il y a deux ans. Il s’agit d’une
vengeance. L’opinion internationale a dénoncé des rafles.
Il
faut rappeler que les Palestiniens arrêtées ne bénéficient d’aucune
garantie de droit en Israël. Ils sont transférées sur le territoire de
la puissance occupante pour être incarcérées, ce qui est contraire à la
4° Convention de Genève. Alors qu’il s’agit de civils, ils sont jugés
par des tribunaux miliaires, et sans respect des règles du fair trial. Enfin, la pratique des mauvais traitements et de la torture est systématique.
Les
médias ont rendus publics l’agression commise à Jérusalem par les
forces de sécurité, s’agissant d’un mineur, de nationalité des
Etats-Unis d’Amérique. Mais ces violences sont systématiques.
Une députée israélienne, dénommée Ayelet Shaked, a
exposé qu’il fallait exterminer les femmes palestiniennes car elles
donnent la vie aux enfants. Elle n’a pas été exclue de son parti. Dans
ce climat de haine, les extrémistes israéliens de Jérusalem ont pris en
otage un jeune mineur Palestiniens pour le brûler vif.
4/ L’attaque contre le territoire de Gaza
Les
dirigeants israéliens ont alors engagé leur cœur de leur action,
c’est-à-dire frapper la population de Gaza et la Résistance armée, par
une large offensive lancée le 8 juillet. Le processus conduisant à cette
opération est parlant.
Les
agressions miliaires, aériennes et navales, contre la population de
Gaza sont permanentes. Elles s’ajoutent au blocus illégal, qui interdit
même les exportations directes depuis Gaza, montrant que le but est de
punir la population, en lui infligeant collectivement un traitement
inhumain et dégradant. Les indications ont été données ci-dessus
montrant les effets désastreux du blocus sur la vie sanitaire et sociale
de la population de Gaza.
À partir de la mi-juin, soit lors du rapt de Hébron, l’aviation
israélienne a généralisé des raids sur le territoire de Gaza, afin de
mettre la population sous pression et de détruire des biens ou des
personnes, en visant des installations de la Résistance, mais aussi des
militants, leurs familles et leurs biens. Il s’agissait de pures
représailles, car les groupes armées respectaient la trêve conclue.
Les
dirigeants politiques palestiniens ont dénoncé ces exactions et ces
exécutions sommaires. Le but évident de l’armée d’Israël était d’obliger
les groupes résistants palestiniens à se défendre, pour ensuite en
faire le prétexte à une agression militaire de grande ampleur.
De
fait, les groupes armés ont répliqués dans un objectif de légitime
défense, avec des moyens bien inférieurs à l’agresseur israélien.
C’est
dans ces conditions que, mettant en œuvre ses déclarations du 13 juin
2014, le gouvernement israélien a annoncé qu’il engageait une offensive
militaire de grande ampleur contre la population de Gaza. Les dirigeants
se sont contredits entre eux sur les objectifs militaires, démontrant a contrario
que les objectifs annoncés étaient factices, le but étant la sanction
collective, et la recherche du soutien de l’opinion publique interne.
Cette agression montre surtout que les dirigeants israéliens n’offrent
globalement aucune solution politique, organisant l’avenir d’Israël sur
la négation des droits du peuple palestinien.
De
fait, les opérations militaires conduites se caractérisent par leur
sauvagerie. Israël n’a pas d’autre perspective que l’élimination du
peuple. Le président Mahmoud ABBAS a dénoncé une opération génocidaire,
comme l’ont fait d’autres Etat, dont la Turquie.
Cette
opération miliaire s’accompagne de conditions très dures pour la
population, avec les destructions de biens collectifs, conduisant à des
coupures d’électricité et des privations de l’eau potable.
II - Que dit le droit international ?
1/ Un conflit armé international
Une
guerre ou pas une guerre ? Oui, c’est une guerre, dite asymétrique.
Mais, pour le droit, la qualification est celle de conflit armé – qui
est certain – et de conflit armé international. L’Etat d’Israël dit
qu’il fait la guerre au Hamas, ce qui n’est que de la com’. Il agresse
un peuple, qui se défend par les armes. C’est être contaminé par la
propagande que faire l’assimilation « Gaza-Hamas ». Gaza, c’est une
ville un territoire, partie de l’Etat qu’est la Palestine.
Le
problème d’Israël n’est pas le Hamas, mais la population palestinienne.
Israël veut éradiquer le Hamas. Une lubie, mais bon… Question : que
propose-t-il pour que la population palestinienne de Gaza vive libre
comme tous les peuples du monde ? Depuis 1967, l’Etat d’Israël a assigné
des adresses aux Palestiniens, qui se trouvent ainsi depuis cette date
interdit de circuler au sein des territoires palestiniens, et les
réfugiés sont interdits d’accéder à la Palestine, leur terre.
Il
s’agit donc bien d’un conflit armé international, mais ce conflit
s’inscrit dans un épisode militaire depuis 1967. Juridiquement, Israël
est puissance occupante depuis cette date, même après son retrait de
Gaza, dès lorsqu’il exerce un contrôle militaire sur le pays. En droit
international, la puissance occupante doit la projection à la population
occupée. Ici, elle l’attaque, lui vole ses terres, la ruine
économiquement et la martyrise. Même notre si peu regardant Ministre des
affaires étrangères a demandé hier la « fin des massacres ».
La qualification à retenir est donc celle opérante pour les conflits internationaux.
2/ Les crimes de guerre
Les
crimes de guerre sont définis à l’article 8, et le a) fait directement
référence au texte des quatre conventions de Genève de 1949. Au regard
de la situation palestinienne, trois infractions définies par le a) sont
pertinentes :
« i) L'homicide intentionnel ;
« ii) La torture ou les traitements inhumains, y compris les expériences biologiques ;
« vii) La déportation ou le transfert illégal ou la détention illégale ».
Viennent
ensuite, définies au b) les autres violations graves des lois et
coutumes applicables aux conflits armés internationaux. De la longue
liste, je retiens cinq infractions, commises à maintes reprises par
l’armée is
« i)
Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population
civile en tant que telle ou contre des civils qui ne participent pas
directement part aux hostilités ;
« ii)
Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des biens de
caractère civil, c'est-à-dire des biens qui ne sont pas des objectifs
militaires ;
« iv)
Le fait de diriger intentionnellement une attaque en sachant qu'elle
causera incidemment des pertes en vies humaines dans la population
civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de
caractère civil ou des dommages étendus, durables et graves à
l'environnement naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport
à l'ensemble de l'avantage militaire concret et direct attendu ;
« v)
Le fait d'attaquer ou de bombarder, par quelque moyen que ce soit, des
villes, villages, habitations ou bâtiments qui ne sont pas défendus et
qui ne sont pas des objectifs militaires ;
« ix)
Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des bâtiments
consacrés à la religion, à l'enseignement, à l'art, à la science ou à
l'action caritative, des monuments historiques, des hôpitaux et des
lieux où des malades ou des blessés sont rassemblés, à condition qu'ils
ne soient pas des objectifs militaires ».
Voilà. Je ne fais pas de commentaire : chacun peut se rendre ses conclusions au vu des informations.
3/ Crimes contre l’humanité
Les
crimes contre l’humanité sont définis à l’article 7. Lisez bien le
texte : il faut 1) une attaque systématique contre la population civile,
et 2) une des infractions listées. Pour Gaza, beaucoup peuvent jouer.
Statut CPI, Article 7 – Crimes contre l’humanité
« 1.
Aux fins du présent Statut, on entend par crime contre l'humanité l'un
quelconque des actes ci-après lorsqu'il est commis dans le cadre d'une
attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population
civile et en connaissance de cette attaque :
« a) Meurtre ;
« d) Déportation ou transfert forcé de population ;
« e)
Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en
violation des dispositions fondamentales du droit international ;
« f) Torture ;
« h)
Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour
des motifs d'ordre politique, racial, national, ethnique, culturel,
religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3, ou en fonction d'autres
critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit
international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent
paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour ;
« j) Crime d'apartheid ;
« k)
Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement
de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique
ou à la santé physique ou mentale.
4/ La légitime défense
Les règles sont fixes par l’article 31, et elles, permettent de faire entrer la proportion dans le débat.
« Une personne n’est pas responsable pénalement si, au moment du comportement en cause […]:
« c)
Elle a agi raisonnablement pour se défendre, pour défendre autrui ou,
dans le cas des crimes de guerre, pour défendre des biens essentiels à
sa survie ou à celle d’autrui ou essentiels à l’accomplissement d’une
mission militaire, contre un recours imminent et illicite à la force,
d’une manière proportionnée à l’ampleur du danger qu’elle courait ou que
couraient l’autre personne ou les biens protégés. Le fait qu’une
personne ait participé à une opération défensive menée par des forces
armées ne constitue pas en soi un motif d’exonération de la
responsabilité pénale au titre du présent alinéa ;
« d)
Le comportement dont il est allégué qu’il constitue un crime relevant
de la compétence de la Cour a été adopté sous la contrainte résultant
d’une menace de mort imminente ou d’une atteinte grave, continue ou
imminente à sa propre intégrité physique ou à celle d’autrui, et si elle
a agi par nécessité et de façon raisonnable pour écarter cette menace, à
condition qu’elle n’ait pas eu l’intention de causer un dommage plus
grand que celui qu’elle cherchait à éviter. Cette menace peut être :
« i) Soit exercée par d’autres personnes ;
« ii) Soit constituée par d’autres circonstances indépendantes de sa volonté.
Le
texte de référence est le c), qui est une rédaction classique : une
personne agit raisonnablement pour se défendre contre un recours
imminent et illicite à la force, d’une manière proportionnée à l’ampleur
du danger qu’elle courait ou que couraient l’autre personne ou les
biens protégés. Un bilan 500 morts et 1500 blessés n’est ni raisonnable –
surtout au vu des attaques contre les civils, qui sont illicites par
nature – ni proportionné pour répondre à tirs de roquettes, qui n’ont
fait que des blessés légers et des dégradations de bien limitées. Le massacre du quartier de Chijaya le
20 juillet, les tirs ciblés contre des enfants jouant sur la plage ou
les tirs contre les hôpitaux n’entrent dans aucune logique de
« proportion ».
Le
d) a été plus discuté, car il laisse entendre que des crimes de guerre
ou des crimes contre humanité pourraient bénéficier de la légitime
défense. Mais les conditions fixées sont si strictes que l’hypothèse est
très fermée. Il
faudrait prouver « une menace de mort imminente » ou équivalente, une
action conduite de façon raisonnable pour écarter cette menace, et sans
causer de dommage plus grand que celui que l’on cherche à éviter.
L’un des éléments saillants de l’analyse est la déclaration du 13 juin du premier ministre israélien : « Ils
ont été enlevés par des gens du Hamas. Il y aura de graves
conséquences ». L’agression a été montée de toute pièce, en espérant
faire tomber le gouvernent d’union, et la légitime défense ne peut même
pas être invoquée, les deux parties observant une trêve armée depuis de
longs mois.
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