dimanche 28 septembre 2014

Entretien avec Domi­nique Vidal - le point sur l’intervention israé­lienne dans la bande de Gaza

Ilham Younes                           

Pourriez-​​vous nous rap­peler le contexte et les motifs de l’intervention israé­lienne, « Bar­rière pro­tec­trice », lancée le 8 juillet 2014 dans la bande de Gaza ?


  Au fur et à mesure de son opé­ration contre la bande de Gaza, le Premier ministre israélien Benyamin Neta­nyahou a mis en avant dif­fé­rents motifs. Dans un premier temps, il s’agissait de venger les trois jeunes colons enlevés et assas­sinés, au nom des­quels l’armée a arrêté des cen­taines de mili­tants du Hamas en Cis­jor­danie. Puis il s’est agi d’une riposte aux roquettes lancées sur Israël – et presque toutes arrêtées par le système anti-​​missiles dit « Dôme de fer ». Ensuite, Tel-​​Aviv a invoqué la des­truction des tunnels creusés sous la fron­tière. Enfin il a été question de « démi­li­ta­riser » la bande de Gaza, que Benyamin Neta­nyahou lui-​​même a fini par qua­lifier de « déraisonnable ».
Si chacun de ces objectifs joue un rôle, le but prin­cipal de « Bordure pro­tec­trice » est à mon avis ailleurs. Comme l’a écrit mon ami, le militant paci­fiste Michel War­schawski, « L’ennemi d’Israël, ce n’est pas le Hamas, mais la négo­ciation ». De fait, Benyamin Neta­nyahou avait lit­té­ra­lement saboté les négo­cia­tions impulsées pendant neuf mois par le secré­taire d’État amé­ricain John Kerry. Le Fatah et le Hamas avaient répondu en consti­tuant un gou­ver­nement d’union, alors même qu’Israël exploitait, depuis 2006, la division du mou­vement national pales­tinien. Casser ce gou­ver­nement et, au-​​delà, la dyna­mique uni­taire, telle était, à mon avis, l’objectif prin­cipal de cette « guerre » - le terme « mas­sacre » convien­drait mieux.

Le 26 août 2014, après 50 jours de combats entre l’armée israé­lienne et le Hamas, un cessez-​​le feu a été pro­noncé, quels sont les termes de cet accord ? Est-​​il plus ambi­tieux que les pré­cé­dents d’un point de vue des objectifs ?

Il faudra attendre les résultats des négo­cia­tions israélo-​​palestiniennes du Caire pour apprécier le contenu réel du cessez-​​le-​​feu. Sur le papier, il ne diffère guère de celui de 2012… qui n’a pas été appliqué par Israël (et l’Égypte). Outre le dou­blement de la zone de pêche, l’accord parle d’une levée « pro­gressive » du blocus. Mais, si le nombre de camions ravi­taillant la bande de Gaza a effec­ti­vement aug­menté, le passage à Erez comme à Rafah se fait tou­jours au compte-​​gouttes.
Notons néan­moins que le bilan stra­té­gique de ces 50 jours de combats ne juge pas seulement aux termes du cessez-​​le-​​feu. Parler d’une « vic­toire » du Hamas serait indécent, au regard du nombre consi­dé­rable de vic­times, tués et blessés. En revanche, Israël a bel et bien « perdu », comme la majorité de ses citoyens le pensent. L’État juif, une fois de plus, a démontré qu’une des plus puis­santes armées du monde, la sienne, ne par­venait pas à en finir avec une gué­rilla. Les crimes de guerre, voire contre l’Humanité qu’elle a commis ont pro­fon­dément entaché son image. Le coût, direct et indirect, de l’opération se monte à plu­sieurs mil­liards de dollars. Bref, il n’y a rien d’étonnant à ce que Benyamin Neta­nyahou plonge dans les sondages.

Moins d’une semaine après l’annonce du cessez-​​le feu, Israël a annoncé l’annexion de 400 hec­tares de terres en Cis­jor­danie à proximité de Bethléem, cette annonce ne rend-​​elle pas l’accord de cessez-​​le feu fragile entre les deux parties ?

La prin­cipale leçon de cette guerre comme des pré­cé­dentes, c’est que le conflit israélo-​​palestinien n’a pas de solution mili­taire. Aussi dif­ficile que cela soit, il faut donc tra­vailler à une solution poli­tique, fondée sur la création, aux côtés d’Israël, d’un État pales­tinien dans les fron­tières des armis­tices de 1949, avec Jérusalem-​​Est pour capitale. C’est ce à quoi les diri­geants israé­liens s’opposent de toutes leurs forces. En annonçant la plus grande annexion de l’histoire de l’occupation, ils le mani­festent à la fois sym­bo­li­quement et concrè­tement. Comme un défi aussi bien aux Pales­ti­niens qu’à la com­mu­nauté inter­na­tionale, pour qui la colo­ni­sation des ter­ri­toires est illégale, a for­tiori leur annexion.

Quel est le bilan humain et matériel des frappes israé­liennes sur la bande de Gaza ? Comment s’organise la reconstruction ?

Selon le Bureau de la coor­di­nation des Affaires huma­ni­taires des Nations unies (OCHA), le bilan du côté pales­tinien s’élève à 2 131 morts dont 1 473 civils dont 501 enfants, 18 000 immeubles détruits ou très endom­magés, 108 000 per­sonnes sans logis [1]. Du côté israélien, on recense 71 morts, dont 66 soldats. Quant à la recons­truction, les auto­rités pales­ti­niennes en éva­luent le coût à 7,8 mil­liards de dollars. Pour l’instant, elle n’a pas vraiment com­mencé, faute des maté­riaux néces­saires : Israël s’oppose à leur transfert, pré­tendant qu’ils ser­vi­raient à réparer les tunnels.

Des orga­ni­sa­tions civiles pales­ti­niennes ont fait part de leur intention de pour­suivre cer­tains diri­geants israé­liens pour crimes de guerre, dans quelle mesure une telle démarche peut-​​elle aboutir ?

La condition sine qua non, c’est que l’État de Palestine signe le statut de Rome et adhère ainsi à la Cour pénale inter­na­tionale (CPI). Le fait qu’il ait été reconnu comme État, même obser­vateur, par l’Assemblée générale des Nations unies facilite évi­demment cette démarche. Mais deux fac­teurs la freinent. Le premier, c’est sa durée : le pro­cessus en question peut durer des mois, sinon des années. Le second, c’est son coût poli­tique pré­vi­sible. La pos­si­bilité pour les Pales­ti­niens de traîner Israël sur les bancs de la justice inter­na­tionale constitue pour Tel-​​Aviv un véri­table cau­chemar. Les diri­geants israé­liens feront donc tout, avec leurs alliés, pour écarter cette éventualité.
D’où un débat parmi les diri­geants pales­ti­niens, y compris au sein du Fatah. Cer­tains défendent une démarche immé­diate auprès de la CPI. D’autres pré­fèrent la faire au moment approprié, sachant qu’il s’agit d’un tir à un seul coup.

Aujourd’hui, peut on envisager la levée du blocus sur la bande de Gaza ?

Les négo­cia­tions devraient per­mettre de faire quelques pas dans cette direction. Mais je ne crois pas à une levée totale du blocus à court terme. Comme tous les autres élé­ments d’une solution poli­tique du conflit israélo-​​palestinien, tout dépend de la pression inter­na­tionale exercée sur Israël.

Plus les opi­nions se sai­siront – notamment – de la cam­pagne Boycott-​​Désinvestissement-​​Sanctions, plus les gou­ver­ne­ments seront tenus de prendre en compte cette mobi­li­sation popu­laire, et plus Tel-​​Aviv sera isolée. Seul cet iso­lement peut contraindre les diri­geants israé­liens à se plier au droit international.

Domi­nique Vidal est col­la­bo­rateur du Monde diplo­ma­tique. Il publie à la rentrée L’Etat du monde 2015 : Nou­velles guerres qu’il a dirigé avec Ber­trand Badie (La Décou­verte), et Manuel d’histoire cri­tique (Le Monde diplo­ma­tique) qu’il a coor­donné avec Benoît Bré­ville après avoir écrit Le Ventre est encore fécond. Les nou­velles extrêmes droites euro­péennes (Libertalia).  

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