C’est le bilan du vote sur le budget de la Sécurité sociale. Certes il
a été adopté par l’Assemblée nationale. Mais avec seulement 270 voix
pour. Or la majorité absolue de l’Assemblée est de 289 voix. Dans quel
autre pays « démocratique » du monde un budget est-il adopté sans qu’une
majorité de parlementaires l’ait voulu ? Surtout quand la conséquence
est un rude coup porté à un monument de notre mode de vie : la sécurité
sociale.
Les votes se suivent et se ressemblent. Sur
le budget de la Sécurité sociale : 270 voix pour, 245 contre et 51
abstentions. Une semaine plus tôt, mardi 21 octobre, les recettes du
budget de l’Etat avaient été adoptées par un score quasi identique : 266
voix pour, 245 contre, 56 abstentions. A chaque fois, le gouvernement
Valls est très loin d’obtenir la majorité absolue des 577 députés. Il
gouverne sans majorité absolue. L’Assemblée nationale doit encore
adopter les dépenses du budget de l’Etat. Le vote aura lieu le 18
novembre, après l’examen des dépenses par domaines. On va voir Valls
manœuvrer pour obtenir une majorité sur les dépenses de chaque
ministère, selon les oppositions et les abstentions dans son camp. Plus
d’une trentaine députés PS et 14 députés Europe Ecologie sur 17 n’ont
pas soutenu le gouvernement ni sur le budget de la Sécurité sociale ni
sur les recettes de l’Etat. Ils ont préféré s’abstenir. Ce mardi, il y a
49 abstentions « de la majorité présidentielle » sur le budget de la
Sécurité sociale dont 34 députés PS. La semaine précédente, il y a même
eu jusqu’à 56 abstentions parmi les députés « de cette majorité » dans
le vote des recettes de l’Etat dont 39 députés PS. À chaque fois, les
députés du Front de Gauche et Isabelle Attard, de Nouvelle Donne, ont
voté contre. Si les frondeurs avaient voté « contre », aucun des deux
budgets n’aurait été adopté. En s’abstenant, ils privent Valls de la
majorité absolue. Mais ils laissent passer les budgets alors qu’ils
pourraient l’empêcher. Dès lors quel est le sens politique de ce vote ?
Pourtant le budget de la Sécurité sociale doit être combattu.
La symbolique de l’abstention est très mal adaptée à une situation de
régression provoquée qui n’a vraiment rien de symbolique. Pour au moins
trois raisons. Le budget de la sécu est une pièce centrale dans le plan
d’austérité de Manuel Valls. D’ici 2017, 21 des 50 milliards d’euros de
coupes budgétaires prévus seront effectués dans le budget de la sécurité
sociale. Pour 2015, ça commence même encore plus fort : la Sécurité
sociale va supporter la moitié des 21 milliards d’euros de coupes dans
les budgets publics. Derrière ces chiffres, il y a une réalité sociale :
des hôpitaux davantage soumis aux restrictions budgétaires, les
pensions de retraite gelées, l’application de la nouvelle convention
d’assurance-chômage plus restrictive pour les intermittents et
intérimaires notamment…
Ces coupes marquent aussi la fin de l’universalité des allocations familiales.
C’est un des points les mieux mis en scène dans le budget de la
Sécurité sociale. Dorénavant, tous les enfants ne donneront pas droits
aux même montant d’allocations. Pour un couple avec deux enfants, les
allocations seront divisées par deux à partir de 6 000 euros de revenus
et par quatre à partir de 8 000 euros. Je sais que de bonne foi,
certains trouvent cela « juste ». L’enfumage du gouvernement est là pour
ça. Mais c’est en réalité un changement total de principe dans notre
pays. Je continue d’affirmer que chacun doit toucher les mêmes
allocations. La nécessaire justice doit être pratiquée au moment du
prélèvement des sommes par les impôts et cotisations. Pas au moment du
versement des allocations. L’idée est que chacun contribue selon ses
moyens et reçoit une même prestation. Sinon, demain cotisants ou
contribuables les mieux dotés seront en droit de remettre en cause une
contribution devenue de pure solidarité plutôt que d’avantage acquis
commun. C’est mettre le doigt dans un engrenage qui finira par broyer
tous les droits universels. Demain, au gré des coupes budgétaires, un
gouvernement baissera le plafond de ressources pour avoir droit aux
allocations, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que des miettes pour les
plus pauvres. Et progressivement, la même logique se développera pour
les allocations chômage, pour les remboursements de soins par la
Sécurité sociale. Une fois de plus, la perversion des mots joue à plein
son rôle d’empêchement de la pensée. C’est maintenant au nom de
« l’égalité » qu’est mis en cause l’acquis social. Comme dans le cas du
CDI dont on entend dire qu’il « crée » de « graves inégalités avec le CDD ». Et dans ce cas c’est toujours par un nivellement par le bas que se fait « l’égalité » annoncée.
Oui, il fallait rejeter ce budget de la Sécurité sociale !
C’est le premier budget annuel d’après le pacte de responsabilité
adopté cet été. C’est-à-dire après la nouvelle série de cadeaux au MEDEF
décidée par Hollande. Un exemple bien parlant se trouve dans ce train
de mesure. Il s’agit de la baisse des cotisations sociales payées par
les employeurs. Mais plus provocante encore est la suppression
progressive de la « C3S ». Il s’agit d’une cotisation payée par les
entreprises réalisant plus de 760 000 euros par an de chiffres
d’affaires pour financer le régime social… des indépendants et le fonds
de solidarité vieillesse. La solidarité patronale est abolie, à la
demande …du MEDEF. Les salariés vont donc payer une cotisation pour les
petits patrons, à la place des patrons ! Ces deux cadeaux représenteront
plus de 15 milliards d’euros par an de manque à gagner pour la Sécurité
sociale lorsqu’ils tourneront à plein régime, en 2017. Là encore, la
mécanique infernale est déjà à l’œuvre. Après avoir décidé d’appauvrir
la Sécurité sociale, les partisans de l’austérité viennent nous
expliquer qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses et qu’il faut
renoncer à indemniser les chômeurs, rembourser les malades, à augmenter
les petites retraites ou combien d’autres choses qui permettent souvent
seulement de survivre. Ils recommenceront demain.
Pendant ce temps, personne ne demande au gouvernement et au MEDEF comment lutter contre la fraude
des patrons qui ne paient pas les cotisations sociales : heures
supplémentaires non déclarées, travail au noir, utilisation frauduleuse
du régime de détachements travailleurs… Pourtant, selon un récent
rapport de la Cour des comptes, cette fraude a doublé entre 2007 et
2012. Cette fraude patronale à la Sécurité sociale est estimée à 20 à 25
milliards d’euros par an ! C’est deux fois le montant du déficit de la
Sécurité sociale, attendu en 2014 autour de 11,7 milliards d’euros. Dit
autrement, sans la fraude patronale, il n’y aurait pas de « trou » de la
sécu ! C’est aussi 5 à 10 fois le montant de la fraude aux prestations
sociales dont on parle pourtant beaucoup plus.
Tel est le monde des
fripons qui, de la commission européenne aux palais de la monarchie
présidentielle, gouverne au mépris du grand nombre des gens simples qui
les croient utiles au bien commun.
Tiré de l'article entier "Une fin de règne pitoyable et interminable"
Jean-Luc Mélenchon


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