Deux juristes, Ghislain Poissonnier, magistrat, et François Dubuisson,
Professeur de droit international à l’Université libre de Bruxelles,
répondent dans Mediapart à l’Union Européenne, qui s’escrime à demander à
Israel l’étiquetage de ses produits des colonies, alors qu’avec ou sans
étiquetage, ces derniers sont illégaux.
"Le 13 avril dernier, 16 Etats de l’Union européenne (UE), dont la
Belgique, ont envoyé à la Haute représentante de l’UE pour les Affaires
étrangères, Federica Mogherini, une lettre lui demandant d’œuvrer en
faveur d’une politique européenne d’étiquetage des produits en
provenance des colonies israéliennes. En août 2014, le ministère belge
des Affaires économiques avait déjà publié un avis invitant les
détaillants à informer les consommateurs sur l’origine exacte des
produits en provenance des colonies, en y apposant la mention "Produit
de Cisjordanie (colonie israélienne)".
Que doivent faire la Belgique et l’Europe face aux produits des colonies israéliennes ?
Les Etats de l’UE considèrent, tout comme l’ensemble de la communauté
internationale, que les colonies israéliennes construites au-delà des
frontières de 1967 sont illégales au regard du droit international.
Pourtant, l’UE importe chaque année pour plus de 200 millions d’euros
de biens agricoles ou de produits fabriqués dans les colonies
israéliennes. Quelle attitude devrait-elle adopter face à cette
situation ? Instaurer une mesure d’étiquetage spécifique ou interdire
l’importation des marchandises en provenance des colonies ?
De prime abord, la solution de l’étiquetage, préconisée par la lettre
du 13 avril, peut paraître pertinente puisqu’il s’agit de faire
respecter la loi européenne déjà en vigueur : éviter que le label "made
in Israël" s’applique à des produits qui ne sont pas fabriqués sur le
sol israélien et permettre au consommateur européen d’être correctement
informé de l’origine des produits qui lui sont proposés afin de pouvoir
écarter de son panier ceux issus des colonies.
Un étiquetage insuffisant au regard du droit international
Cependant, cette solution est-elle vraiment pleinement conforme au
droit international, qui constitue pour l’Europe la référence obligée
pour le règlement du conflit israélo-palestinien ? On peut sérieusement
en douter. Dans l’avis rendu en 2004 concernant l’édification du mur en
territoire palestinien occupé, la Cour internationale de Justice a
explicitement énoncé que les Etats membres de la communauté
internationale ont pour obligations de "ne pas reconnaître" la situation
illicite découlant de la construction du mur et de "ne pas prêter aide
et assistance" au maintien de cette situation. Ces principes sont
également applicables aux colonies, dont l’avis rappelle l’illégalité.
Or, un simple étiquetage des produits des colonies ne permet pas de
remplir ces deux obligations.
Tout d’abord, "ne pas reconnaître" l’illégalité des colonies implique
de ne reconnaître aucun effet lié à leur existence. En étiquetant les
produits des colonies, l’Europe admettrait la légitimité du commerce
avec ces entités illégales et reconnaîtrait dans sa législation
l’activité économique qui y est conduite. Cela revient à accepter le
point de vue du gouvernement israélien selon lequel ces produits n’ont
rien d’illégal, bien qu’ils soient fabriqués sur des terres
confisquées aux Palestiniens et en utilisant les ressources naturelles
issues de leur territoire. L’apposition d’un label "fabriqué dans les
colonies israéliennes" aurait cet effet singulier de dûment identifier
des marchandises trouvant leur origine dans des activités contraires au
droit international, tout en approuvant le fait qu’elles puissent être
librement importées et commercialisées sur le marché européen. Une telle
mesure paradoxale ne serait en réalité qu’une nouvelle démonstration de
l’incapacité politique européenne à prendre des positions cohérentes en
faveur d’un règlement du conflit israélo-palestinien.
Ensuite, l’étiquetage ne permettra pas davantage à l’Europe de
respecter son obligation de "ne pas prêter aide et assistance" au
maintien des colonies. Cette obligation suppose de ne leur fournir aucun
moyen de subsistance, y compris commercial et financier. Or, comme
vient de la rappeler le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies
dans une résolution approuvée par les Etats de l’UE en mars dernier,
l’activité économique dans les colonies israéliennes contribue
directement à leur consolidation et leur extension, le nombre de colons
ayant doublé depuis 15 ans pour atteindre 600 000. L’étiquetage
spécifique dissuadera certes la frange des consommateurs européens les
plus avisés, mais il n’empêchera pas la poursuite de l’importation et de
la vente de ces produits sur le sol européen, contribuant au maintien
des activités industrielles et agricoles des colonies.
Une obligation d’interdire l’importation des produits des colonies
En réalité, pour se conformer pleinement au droit international,
c’est l’interdiction de l’importation des produits des colonies que
l’Europe doit décider et que les Etats membres doivent réclamer. Le
marché européen ne doit pas constituer un débouché à des activités
commerciales conduites dans des entités illégales.
Il est parfaitement
possible d’agir : refusant l’annexion de la Crimée par la Russie,
l’Europe a été cohérente en interdisant l’importation sur son sol des
produits originaires de Crimée, au nom du droit international. Une voie
identique devrait être suivie pour les colonies israéliennes.
Ghislain Poissonnier, François Dubuisson, Rabab Khairy, Claude Léostic, coordinateurs de la campagne "made in illegality".
Source : mediapart
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