Pour ce qui est de l’extrême-droite, la violence contre les civils
palestiniens n’est pas seulement le résultat du racisme – elle est
d’abord et avant tout, une forme de contrôle.
La grande majorité des colons ne sont pas violents, bien que
différents niveaux de violence envers la population civile des
territoires occupés soient allés de pair avec l’entreprise coloniale
depuis son commencement. Ces actes de violence ne sont jamais une
aberration, mais davantage la conséquence directe de la situation en
Cisjordanie.
Le grand public ferme les yeux à ce fait à chaque fois que ces
évènements ont lieu. Les réponses au meurtre du bébé Ali Dawabshe, âgé
de 18 mois, indiquent que nous allons continuer à ignorer la situation
dans son ensemble.
La caractéristique essentielle de l’occupation est qu’elle englobe
deux populations civiles aux côtés l’une de l’autre, qui sont soumises à
deux systèmes juridiques différents. Les Palestiniens vivent sous un
régime militaire, tandis que tout-e Israélien-ne qui vit dans une
colonie ou qui même se rend dans les colonies “apporte” avec elle/lui
le droit israélien, comprenant toutes les protections juridiques qui lui
sont garanties, à elle ou à lui.
La seconde caractéristique fondamentale de l’occupation est la
volonté des Israéliens d’accroître progressivement le territoire et les
ressources pour la population juive, tout en diminuant peu à peu le
territoire des Palestiniens. Ce mélange – d’un régime militaire et de la
colonisation civile – est ce qui fait que l’occupation ressemble
beaucoup au colonialisme et à l’apartheid, même s’il n’y a pas une
concordance exacte. Ceci est l’essence du régime, indépendamment de la
question de savoir si ceci est ou n’est pas le pays de nos ancêtres, ou
de savoir qui était là en premier.
Le colonialisme va toujours de pair avec le racisme et le racisme
extrême est toujours accompagné de violence. Même si la motivation
initiale qui a entraîné une situation coloniale n’est pas raciste, à un
certain moment le groupe prédominant doit en quelque sorte justifier ses
propres privilèges, ce qui mène inévitablement à une vision du monde
raciste. Par exemple que la population sous occupation n’est pas “prête”
à disposer de tous ses droits, ou qu’elle est de façon inhérente
faible et violente, qu’elle n’apprécie pas la vie comme nous le
faisons, qu’elle préfère vivre dans des quartiers denses et sales, etc.
Le combat contre le racisme en Israël – au degré où il existe – échouera
aussi longtemps que l’occupation existera, puisque nous avons toujours
besoin du racisme pour justifier l’occupation.
Mais le racisme ne peut pas expliquer complètement la violence envers
les civils palestiniens. Certaines des plus infâmes tentatives de nuire
aux Palestiniens – le Mouvement clandestin juif, qui a effectué une
attaque meurtrière contre un séminaire à Hébron et qui a cherché à faire
sauter cinq bus palestiniens, a été la plus connue de celles-ci –
n’étaient pas exceptionnellement racistes. Les buts du Mouvement
clandestin juif étaient d’abord et avant tout politiques : empêcher
l’éventuelle évacuation des colonies tout en renforçant la domination
juive sur la population locale, par la peur, l’intimidation et la
“punition” des personnalités dirigeantes, comme cela a été le cas lors
de leurs attaques contre les maires palestiniens. L’excuse est toujours
la “faiblesse” du pouvoir central – qui est perçue comme une hésitation à
mettre en oeuvre la souveraineté israélienne sur la population
palestinienne. La violence est et demeure une forme de contrôle.
L’histoire du colonialisme est pleine de tels exemples. Un des plus
célèbres de ceux-ci a été l’Organisation de l’Armée Secrète, un groupe
para-militaire d’extrême-droite qui a utilisé le terrorisme pour essayer
d’empêcher l’indépendance de l’Algérie par rapport au pouvoir colonial
français. À un moment donné le groupe a commencé à viser les citoyens
français, tels que Sartre – partisans de la fin de la domination
française – et même le Président De Gaulle lui-même.
Une évolution analogue a pris corps ici. L’idée centrale qui
sous-tend les soi-disantes attaques du “prix à payer” est politique
–visant à renforcer le contrôle sur les Palestiniens par le “châtiment”
(d’innocents), soit en tant que réponse aux attaques contre les Juifs,
soit à ce qui est considéré comme un affaiblissement de l’emprise juive
sur la Cisjordanie, habituellement après la démolition de constructions
dans les avant-postes ou les colonies. Le moindre harcèlement contre les
Palestiniens s’accompagne habituellement de propos sur “le besoin de
leur donner une leçon”, “de leur apprendre le respect”, et ainsi de
suite.
Pendant mon service militaire dans les territoires occupés, j’ai
souvent rencontré ce type de discours, particulièrement à Hébron, où les
tensions entre Juifs et Palestiniens étaient et demeurent les plus
intenses. Cela aboutissait souvent à casser les vitres d’une voiture ou
les réservoirs d’eau chauffée par le soleil au-dessus des maisons
palestiniennes. Dans d’autres cas, c’était une gifle au visage d’un
passant ou un crachat dirigé vers lui. À Gaza et dans la région de
Naplouse, les incidents avaient habituellement lieu près des postes de
contrôle. Je me souviens de quelques exemples dans lesquels les colons
armés sortaient de leur voiture (particulièrement quand il y avait une
longue file, ou lorsque le carrefour était bloqué pour une certaine
raison), vilipendaient et menaçaient les Palestiniens avec toujours le
même ton hautain. Il est difficile d’envisager le même citoyen
israélien, quittant sa voiture dans un embouteillage à Haïfa, agitant
son arme vers les autres conducteurs et hurlant à la police de faire son
travail, sans que cela ne se termine au moins par son arrestation.
Pourquoi la même personne agit-elle différemment de l’autre côté de la
Ligne verte ? La différence tient à l’occupation et toute personne
concernée le sait.
Bien sûr des Palestiniens essayent aussi de nuire aux Juifs dans les
territoires occupés – mais la différence est qu’il y a tout un système
qui fonctionne pour s’occuper de la violence palestinienne. Il le fait
avec vigueur et en utilisant des moyens qui sont inacceptables dans le
système juridique israélien : arrestations collectives sans jugement,
perquisitions sans mandat (même dans les maisons de personnes non
suspectes), tortures, punitions collectives (en annulant les permis
d’entrer à des Palestiniens dont un membre de la famille a été impliqué
dans des actes de terrorisme), assassinats ciblés, etc.
Après le meurtre abominable de la famille Fogel en 2011, l’armée a
placé le village palestinien d’Hawara sous couvre-feu, est entrée par
effraction dans les maisons et a pris de force des échantillons d’ADN de
tous les hommes du village.
Tout Palestinien qui a écrit un manifeste meurtrier analogue à celui
publié (en hébreu) par Moshe Auerbach – qui a expliqué comment chercher
des maisons palestiniennes pour y mettre le feu tout en bloquant
l’entrée de la maison de façon à ce que les victimes ne puissent
s’échapper- serait enfermé pendant plusieurs années, ou au moins placé
en détention administrative. Mais Auerbach lui-même a été relâché, en
raison d’une erreur de procédure commise par l’accusation.
Quand j’ai fait mon service militaire, les FDI (Forces de Défense
Israéliennes) avaient encore pour but d’assurer la sécurité de tous les
habitants des territoires occupés. Aujourd’hui, toutefois, il est dit
clairement dans les consignes que le but premier est de protéger les
Juifs et l’idée, que tous les Palestiniens – même les “non-combattants”–
sont des ennemis, fait des progrès.
C’est une situation inimaginable. Nous poursuivons notre vie avec
l’impression que la loi nous protège. La plupart du temps ce système
fonctionne et quand ce n’est pas le cas nous nous mettons en colère et à
juste titre. Mais la population palestinienne est exposée à
l’arbitraire, au harcèlement, soit des soldats, soit des colons.
Alors que l’Autorité Palestinienne consacre 25% de son budget à la
sécurité, son principal rôle est d’assurer la sécurité des Israéliens et
non des Palestiniens (ce seul fait devrait avoir mis fin à la
sempiternelle question de savoir si oui ou non Israël contrôle encore
les Palestiniens). Un policier palestinien ne peut pas arrêter une
colon, même si une agression devait avoir lieu sous ses propres yeux.
Les Palestiniens par conséquent dépendent du bon vouloir de l’armée, de
la police ou du Shin Bet, et ces entités n’accordent pas une grande
importance à la protection de la vie des Palestiniens, à part pour
quelques cas exceptionnels.
Ajoutez à ceci le fait la majorité des civils palestiniens tués en
Cisjordanie sont tués par l’armée elle-même. En comparaison des FDI, la
violence de l’extrême-droite est encore marginale. Et la violence des
FDI est traitée de façon de loin plus indulgente que les attaques des
tagueurs du “prix à payer”. Même dans les cas les plus extrêmes, où il y
a une suspicion évidente de meurtre par des soldats israéliens, la
réaction du système est de le dissimuler. Quand une enquête est menée,
elle est faite longtemps après que l’incident ait eu lieu et avec des
moyens limités (+972 a publié une série d’informations précises sur des
soldats qui avaient tué des Palestiniens et qui s’en sont tirés sans
conséquences). La sanction est presque inexistante, hormis quelques cas
particuliers (qui sont entièrement symboliques).
En fait, la principale raison des enquêtes de l’armée sur ces cas est
le besoin de renforcer la discipline sur ses troupes, en même temps que
la volonté de protéger le commandement militaire de la Cour Pénale
Internationale (un mécanisme fonctionnel interne pour enquêter sur de
tels crimes est une des protections juridiques contre ce genre de procès
criminels internationaux).
Le problème commence aux plus hauts rangs : l’Officier Général
Commandant le Commandement Central des FDI lui-même, qui est responsable
du maintien de la sécurité des Palestiniens, a été impliqué dans
l’assassinat d’un Palestinien désarmé (en hébreu). Le commandant de la
Brigade Régionale Binyamin a abattu un Palestinien qui jetait des
pierres, alors que celui-ci s’ éloignait en courant ; une video qui a
été divulguée après l’incident, a révélé que la version des FDI des
évènements était pour le moins erronée. Ces évènements qui se produisent
régulièrement illustrent l’absurdité dissimulée derrière l’idée que
l’armée protègera les civils palestiniens.
Cependant, je ne soutiens pas les récents appels à utiliser tous les
moyens disponibles des FDI et du Shin Bet – qui sont chaque jour
utilisés à l’encontre des Palestiniens – contre les extrémistes juifs de
droite. Cette approche ne fera qu’augmenter le nombre des violations
des droits de l’homme par l’occupant. Personne ne projette, et à juste
raison, de mettre une colonie sous couvre-feu ou d’en emmener tous les
hommes pour des tests d’ADN. Comme je l’ai écrit précédemment, la
violence est inséparable de la réalité coloniale dans les territoires
occupés – sans mettre un terme à cette réalité, il n’y aucune
possibilité de faire face véritablement au problème de la violence. Même
si les choses se calment temporairement, la situation à long terme ne
fera qu’empirer. La seule solution est l’évacuation des colonies ou des
droits égaux pour tous.
Il y a eu des gens de gauche qui ont déclaré ces derniers jours que
le Premier Ministre Netanyahu et le Ministre de l’Education Naftali
Benett sont responsables du meurtre d’Ali Dawabshe. Mais à mes yeux,
leur responsabilité n’est pas plus grande que celle des centristes qui
croient que l’occupation est tolérable, ou qu’il n’y a “aucun
partenaire” et “aucune alternative” et que donc le statu quo dans les
territoires occupés doit rester pour l’instant en
application.
L’occupation et les colonies créent la violence. Il est vrai que la guerre contre le terrorisme juif ne doit pas attendre la fin du gouvernement militaire – mais sans combattre l’occupation, il n’y a aucune possibilité de gagner la bataille contre le terrorisme juif.
L’occupation et les colonies créent la violence. Il est vrai que la guerre contre le terrorisme juif ne doit pas attendre la fin du gouvernement militaire – mais sans combattre l’occupation, il n’y a aucune possibilité de gagner la bataille contre le terrorisme juif.
Cet article a d’abord été publié en Hébreu sur Appel Local. Lisez-le ici.
(traduit de l’anglais par Y. Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers)
Source : 972mag
France Palestine Solidarité
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