Voici une excellente interview, publiée par l’excellent La Croix, d’Emmanuel Torquebiau, chargé de mission changement climatique au Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement (Cirad), recueillie par Séverin Husson.
Emmanuel Torquebiau est un grand scientifique, qui appelle à revoir un modèle agricole à bout de souffle, responsable
de 25 % émissions des gaz à effet de serre. Ce régime parvient à
enrichir les groupes industriels, mais se montre incapable de nourrir la
population, et il va falloir se radicaliser pour revenir à des
pratiques sérieuses... C’est un débat essentiel,
et soyez sûrs que le blog va y revenir. Nous devons combattre
l’industrialisation agricole, pour aller vers une agriculture
nourricière, qui n’exporte que lorsque la région et le pays ont atteint
l’autosuffisance alimentaire, et qui assure à l’agriculteur la maîtrise
de ses terres, stabilisant les familles et donnant donc un cadre pour
l’éducation des enfants. La révolution commencera par la terre… Vive la
révolution des paysans !
L. C. : De quelle manière les agriculteurs des pays du Sud sont-ils touchés par le changement climatique ?
E. T. : Toute
la planète est concernée, mais les paysans du Sud sont en première
ligne. D’abord parce qu’on connaît moins bien les formes que prendra le
changement climatique dans ces pays. On manque de références, de données
statistiques pour faire tourner les modèles.
Ensuite
parce qu’à changement climatique égal, le Sud est plus vulnérable que
le Nord. Il est beaucoup plus difficile de s’adapter quand on évolue
dans un environnement fragile économiquement, sans service météo, sans
capital à investir, sans formation et sans accès facile à de nouvelles
semences ou de nouvelles méthodes agronomiques.
L. C. : Ces paysans sont déjà atteints…
E. T. : Oui,
on observe par exemple une augmentation des zones de sécheresse au
Sahel, avec une variation importante des dates de début et de fin de la
saison des pluies, et une irrégularité des précipitations au cœur même
de cette saison. C’est très difficile à gérer pour les agriculteurs et
cela affecte leurs productions annuelles de céréales ou de légumineuses.
L. C. : L’agriculture est donc victime du dérèglement climatique. Mais elle en est aussi responsable…
E. T. : C’est
l’une des difficultés. En tant que victimes, les agriculteurs doivent
s’adapter, en modifiant leurs pratiques. Et en tant que responsables, il
faut qu’ils participent à la diminution du gaz carbonique dans
l’atmosphère.
Les
paysans du Sud, eux, en émettent déjà très peu. En revanche, ils
peuvent participer à l’effort commun en « stockant du carbone » dans le
sol. C’est important car on estime qu’une augmentation du taux de
carbone de 0,4 % par an permettrait de compenser l’ensemble des
émissions des gaz à effet de serre de la planète. En plus, cette
stratégie est doublement gagnante car plus un sol est riche en carbone,
plus il est fertile, aéré et capable de retenir l’eau.
L. C. : Comment faire ?
E. T. : Pour
« stocker du carbone », ou de la matière organique, il faut faire
pousser des plantes. Il est possible par exemple de mélanger dans une
même parcelle des cultures pérennes et des cultures annuelles : au
Burkina Faso, des karités – ces grands arbres que l’on peut valoriser
dans des cosmétiques ou du beurre – avec en dessous du sorgho, du maïs
ou du mil.
Le
même principe est possible sans arbres, en associant les cultures
annuelles avec des cultures de couverture, de façon à ne jamais laisser
le sol nu. Les stylosanthes, également appelées luzerne tropicale,
peuvent être utilisées avant du riz non irrigué ou du maïs. Mais ces
techniques ne sont pas encore toutes au point : il faut parfois utiliser
des herbicides pour détruire la culture de couverture afin qu’elle ne
fasse pas concurrence à la plante principale.
L. C. :
Ces solutions sont-elles à la hauteur des enjeux de sécurité
alimentaire ? Est-il raisonnable de vouloir tourner le dos à la
composante industrielle de l’agriculture, à la chimie, voire aux OGM ?
E. T. : L’objectif
est multiple, en effet : s’adapter au changement climatique,
l’atténuer, tout en produisant de manière durable et en quantité
suffisante. Nous sommes réalistes et ne faisons pas du rejet de la
chimie un critère absolu. Mais l’objectif est d’en utiliser le moins
possible.
Le
modèle agricole dominant est responsable de 25 % émissions des gaz à
effet de serre, donc il faut bien trouver une alternative qui permette
de nourrir 9 milliards d’habitants, dans quelques années, en produisant
au plus près des populations. Car l’insécurité alimentaire n’est pas
tant un problème de quantité produite que de répartition des aliments,
de perte et de gaspillage.
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