La refonte des programmes ne rompt pas avec l’empilement des
connaissances et supprime l’unique chapitre consacré à l’histoire
africaine.
Beaucoup de mes collègues m’ont reproché mon absence de critiques au
printemps dernier sur la réforme du collège à venir, m’expliquant que
leurs matières (EPS, Latin, Allemand, Physique, Technologie ou SVT pour
ne citer qu’elles) étaient amenées à disparaître, vu leurs dotations
horaires limitées, absorbées dans les EPI, ces fameux enseignements
pratiques interdisciplinaires.
Je ne les ai pas entendus, trop occupé dans les bagarres de bac à sable entre petits historiens et trop content de voir ma belle matière, l’histoire, au centre du débat.
Je me suis ainsi laissé embourber dans ces promesses d’ateliers
pluridisciplinaires au profit d’élèves victimes du collège unique ayant
besoin d’autres choses que de l’apprentissage frontal. Pour les mettre
en place, il fallait donc défendre l’allègement des programmes et je
l’ai fait avec beaucoup d’ardeur et sans scrupules.
La première mouture proposait en effet des thèmes obligatoires avec
des chapitres facultatifs qui permettaient d’en approfondir d’autres et
d’éviter le saupoudrage de connaissances. Cela nous laissait une
certaine liberté pédagogique appréciable dans le choix des thèmes aussi.
La grande histoire de France est sauvée...
Mais quelle ne fut pas ma petite surprise - avec ce gouvernement ce
n’est malheureusement pas la première loin s’en faut - en découvrant les
nouveaux programmes d’histoire du cycle 4 (cinquième, quatrième et
troisième) !
Toutes ces belles velléités d’allègement s’effondrent comme un
château de sable, mises à mal par les vagues réactionnaires de gauche
comme de droite qui considéraient les projets du programme d’histoire
comme une attaque en règle de notre beau roman national. Les grands rois
de France, la société médiévale encadrée par l’Eglise ou les
philosophes des Lumières ne pouvaient être mis entre parenthèses pour
nous permettre d’installer des projets innovants tentant de stimuler des
élèves se moquant du renforcement du pouvoir monarchique sous les
capétiens. Et bien non, tout cela restera bien au programme. On ne rompt
donc pas avec l’empilement de connaissances qui visent à satisfaire
toutes les écoles historiques.
Exit l’histoire de l’Afrique...
Chose grave, en y regardant de plus près, parmi les rares chapitres
supprimés, figure l’étude d’une civilisation africaine en cinquième...
Au revoir donc l’histoire si intéressante de l’Afrique médiévale, les
Africains ne seront traités, avec mauvais jeu de mots, que par leurs
relations subies avec les Européens : découverte du continent,
esclavage, colonisation puis décolonisation. Quoi de plus normal,
l’homme noir n’est pas assez rentré dans l’Histoire, disait Sarkozy à
Dakar en 2007 non ?
Ce chapitre était pourtant une nouveauté bienfaitrice datant de 2010,
les élèves originaires de ce continent découvraient avec fierté que lui
aussi abrita des brillantes civilisations dirigées par des monarques
puissants tel Kanga Moussa, un empereur malien du XIVe siècle, disposant
d’intarissables mines d’or, faisant construire notamment la magnifique
mosquée Djingareyber de Tombouctou.
Tous les élèves découvraient avec tout autant de fascination cette
histoire transmise oralement par des griots, véritables bibliothèques
vivantes. C’était l’occasion d’écouter leurs chants, notamment ceux
célébrant l’histoire du grand Soundiata Keita
à l’origine d’une charte des droits de l’homme au XIIIe siècle
(controversée, car orale...) cinq siècles avant la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen en France.
S’ouvrir aux autres cultures, notamment celles de nos élèves,
n’est-ce pas l’une de nos missions ? Il ne s’agit pas d’oublier la nôtre
mais dans un pays aussi métissé, l’élève d’origine étrangère ne doit
pas avoir honte de ses racines s’il veut s’épanouir totalement dans le
pays qui a accueilli ses parents ou ses grands parents. Au contraire, on
lui explique de manière implicite en histoire que l’Afrique n’a rien
apporté au monde dans le passé, et explicitement en géographie que ce
continent est à la traîne aujourd’hui.
De quoi satisfaire Nadine Morano et pleins d’autres...
Le chapitre sur l’islam, si vivement critiqué en avril dernier, est
maintenu mais subtilement intégré dans un thème intitulé « chrétienté et
islam (VIe-XIIIe siècle), des mondes en contact », histoire de rassurer
toutes les personnes effrayées à l’idée que l’on puisse enseigner la
civilisation musulmane en cinquième au même titre que la civilisation
judéo-chrétienne en sixième, une expression en vogue ses deniers temps.
Ce n’est pas anodin et encore une fois, le consensus se situe
aujourd’hui très à droite sur l’échiquier.
Exit aussi en classe de troisième, de manière définitive, l’histoire
des vagues d’immigration en France au XXème siècle. Nous n’apprenons
donc plus à l’élève d’origine étrangère d’où il vient et pourquoi il est
là. Un chapitre qui aurait pu faire comprendre à Nadine Morano que son
grand père maternel, un maçon piémontais, n’était pas si différent des
immigrés non européens que cette dame stigmatise par ses déclarations
hallucinantes. Ces ajustements sous la pression satisferont donc tous
ces hypocrites feintant leur émoi devant ses propos sur cette
hypothétique race blanche judéo-chrétienne mais qui n’en pensent pas
moins. Et puis, il n’y aura pas d’intellectuels pour s’offusquer de ces
suppressions dans une tribune d’un grand quotidien.
Les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) menacés...
De plus, en refusant comme pourtant annoncé de réduire d’une manière
significative ces programmes, on tue la réforme dans l’œuf. Même si les
propositions d’enseignement pluridisciplinaire sont satisfaisantes et
très utiles, on ne pourra pas boucler ces programmes avec une heure en
moins de cours chaque semaine, ce qui aura évidemment des conséquences
néfastes sur les EPI ...
Encore faut-il que nos collègues des matières les moins dotées au
niveau horaire (Technologie, SVT, Physique, Musique, Arts Plastiques,
Latin) acceptent d’enchaîner les projets en servant finalement d’alibis
aux professeurs de maths, français et histoire désireux de finir ces
programmes bien trop chargés pour préparer au mieux leurs élèves pour le
brevet des collèges.
Quant à l’EPS, dont l’évolution pédagogique faisait office de
précurseur ses vingt dernières années, on vide le contenu de son
enseignement ce qui est inquiétant au vu de l’importance, et c’est
normal, prise par cette matière, la seule à évaluer l’évolution de
l’élève et pas uniquement sa performance.
Encore une fois, on recule devant la pression, pour mieux tomber
malheureusement. La grogne prend de l’ampleur chez les collègues qui ont
manifesté samedi 10 octobre, mais aussi dans l’ensemble de la
communauté éducative qui, à travers le Conseil supérieur de l’éducation,
s’est exprimée contre ces nouveaux programmes. Affaire à suivre...
Jean-Riad Kechaou est professeur d’histoire et géographie dans un collège de Chelles (Seine-et-Marne).
politis.fr
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