Philip Hoare
13 cachalots échoués le long des côtes allemandes avaient ingéré
d’immenses quantités de plastique. Ils sont le symbole de notre mépris
choquant pour la vie marine.
En Janvier, 29 cachalots se sont échoués
autour de la Mer du Nord. Les résultats des nécropsies (l’équivalent
animalier d’une autopsie) de 13 de ces baleines, retrouvées sur les
côtes allemandes, près de la ville de Tönning en Schleswig-Holstein,
viennent d’être publiés. Les estomacs des animaux étaient pleins de
débris plastique. Un filet de 13 mètres de long, une pièce de plastique
d’une voiture de 70cm et d’autres morceaux de détritus plastiques
avaient été involontairement ingéré par les animaux, qui les ont
peut-être confondus avec leur nourriture, comme le calmar, leur met
favori, qu’ils consomment en les aspirant dans leur bouche.
Robert Habeck, ministre de l’environnement de l’état du Schleswig-Holstein, explique : « ces
découvertes nous montrent le résultat de notre société du plastique.
Les animaux consomment involontairement des déchets plastiques, qui les
font souffrir, et pire, les font mourir de faim l’estomac plein ». Nicola Hodgins, de Whale and Dolphin Conservation, ajoute : « Si
les gros morceaux occasionnent des problèmes évidents et obstruent les
intestins, les plus petits morceaux peuvent entraîner des problèmes
chroniques pour toutes les espèces de cétacés – pas seulement ceux qui
s’alimentent pas aspiration ».
L’image de ces grandes créatures,
sensibles et placides remplies de nos déchets est assez emblématique de
la relation inégale entre l’humain et le cachalot. Le fait que ce
dernier possède le plus grand cerveau de tous les animaux ayant jamais
existé ne fait que souligner cette déconnexion.
Malheureusement, pour quiconque suit
l’histoire récente de notre impact sur les cétacés, la situation
terrible des baleines allemandes n’est pas nouvelle – bien que
l’importance des échouements de janvier dernier le soit. En 2011, un
jeune cachalot a été trouvé mort au large de l’île grecque de Mykonos.
Son estomac était tellement distendu que les scientifiques ont cru que
l’animal avait pu avaler un calmar géant. Mais lorsqu’ils ont disséqués
ses 4 estomacs (les cachalots bien que des prédateurs ont des processus
digestifs similaires aux ruminants), ils ont retrouvé environ 100 sacs
plastiques et autres débris. Un sac présentait le numéro de téléphone
d’un restaurant de souvlaki de Thessalonique. Les scientifiques
plaisantèrent amèrement en expliquant que la baleine était dans
l’incapacité d’appeler pour se plaindre des dommages causés par leurs
produits.
L’intensité du sort qui frappe ces
baleines de la mer du Nord rappelle celui des albatros se reproduisant
sur l’île de Midway, capturé de façon si poignante par le photographe
Chris Jordan. Il a documenté les restes squelettiques de leurs jeunes,
plein à craquer du plastique avec lequel leurs parents les nourrissent
involontairement – morceaux de cannettes de bière, bouchons de
bouteilles, briquets, etc. – au point que le manque de nutrition les
fait mourir de faim.
Notre utilisation et notre abus des
animaux semblent en proportion inverse de la révérence quasi rituelle
dont nous prétendons faire preuve à leur égard. Les baleines sont
devenues l’icône marine de la menace écologique. Nous révérons leur
grandeur. Mais parfois, je me demande si tout cela n’est pas
qu’illusion. Nous nous félicitons d’avoir cessé de les chasser (enfin,
presque, la plupart d’entre elles). Pourtant de nombreux cétacés sont
attaqués ou tués par la pollution que nous déversons dans les océans.
Nous ne parvenons pas à comprendre la connexion directe entre les
bouteilles d’eau en plastique et leur impact sur le cycle de l’eau. Les
baleines sont toujours victimes de notre industrialisation, de notre
insatiable soif de croissance au détriment de tout le reste – bien que,
peut-être, de manière moins directe que par le passé.
Récemment, en visitant l’unité de
stockage où le Muséum d’Histoire Naturelle de Londres range les milliers
de spécimens qu’ils sont incapables – ou réticents – d’exposer dans le
musée, le conservateur des vertébrés, Richard Sabin, m’a montré un
carton sans rien d’inscrit dans un coin. Il m’a conseillé de regarder à
l’intérieur. Lorsque je l’ai ouvert, j’ai trouvé des tas de blocs
solides d’huile de spermaceti, l’huile solidifié tirée de la tête des
cachalots.
Des baleines dans des cartons – voilà
comment nous les voyons. Voilà la substance pour laquelle les baleiniers
américains et britanniques se rendaient dans les mers du Sud. Cette
chose qui, lorsque liquide, illuminait les rues de Londres, New-York,
Berlin et Paris. Utilisée pour faire des bougies et du maquillage ;
comme lubrifiant des machines de la révolution industrielle. L’huile de
spermaceti est si bonne que la Nasa l’utilisait lors de ses missions
spatiales, étant donné qu’elle ne gèle pas dans l’espace.
C’est ce matériel de baleine qui me
hante. Ce qu’elles ont fourni, bien qu’involontairement, afin que nous
puissions pouvoir et illuminer nos propres vies. Même les excrétions des
cachalots – sous forme d’ambre gris – sont les substances naturelles
les plus chères à nos yeux, toujours utilisées comme fixateur pour les
parfums de luxe. Il faut opposer cet usage à ce que nous savons
aujourd’hui qu’ils sont des animaux culturels, profondément liés par des
liens familiaux.
Bien sûr, c’est ce qui nous rend si proches qui
finalement nous touche – et ce qui pourrait constituer notre salut
commun. J’ai dit à Meera Syal, lorsque je l’ai rencontrée à Radio 4
l’autre jour, que les sociétés des baleines étaient entièrement
matriarcales, et que chez certaines espèces, les baleines mâles
restaient avec leurs mères toutes leurs vies. « Ah, dit-elle, ce sont des baleines indiennes ».
Article initialement publié (en anglais) sur le site du Guardian le 30 mars 2016, à l’adresse suivante.
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