dimanche 10 avril 2016

Les entreprises françaises ne seraient pas assez compétitives… alors il faut baisser les salaires et augmenter le temps de travail!

24 heures en images - Une mer de pneus photographiée par Pejac, dans un endroit non spécifié.2CCR

La mise en concurrence a explosé au sein des grands groupes, notamment dans la filière automobile, mais le processus a débuté il y a déjà longtemps. On est peu à peu passé de grands espaces de production à une multiplicité de petits espaces que l’on a mis en concurrence les uns avec les autres.

Prenons l’exemple de Renault. Jusqu’au milieu des années 1970, à l’usine du Mans, on fabriquait tout ce que l’on appelle les « parties roulantes », c’est à dire ce qui se situe sous la voiture, au niveau du train. Cette usine alimentait toutes les autres usines. Si on se mettait en grève, on bloquait tout le monde. Pour minimiser ce pouvoir de blocage, la direction a décidé d’ouvrir une usine qui avait la même activité que celle du Mans, mais en Espagne. Une usine située à Villeurbanne (près de Lyon) s’est aussi mise à copier l’activité du Mans.
Et puis, à la fin des années 80, un changement important s’est produit. Chaque entité est devenue cliente, ou fournisseur d’une autre entité. Une usine de montage comme celle de Sandouville (Seine-Maritime), est devenue cliente du Mans, qui est son fournisseur. De la sorte, on donne l’impression que ce n’est plus la direction générale qui décide de l’affectation de volumes de production, mais seulement la capacité des salariés à atteindre les objectifs qu’elle leur a préalablement fixés. La décision de la stratégie d’entreprise est ainsi déportée vers les usines en culpabilisant les salariés et la ligne hiérarchique. Sandouville, par exemple, peut être alimentée par d’autres fournisseurs que le Mans, au prétexte que la qualité n’est pas bonne, que la quantité n’est pas suffisante, ou parce que Le Mans n’alimente pas en temps et en heure l’usine de montage… il y a toujours moyen de trouver une bonne raison de changer de fournisseur, en rendant responsables les salariés de l’usine du Mans.
À chaque renouvellement de modèle, les fournisseurs – les salariés – sont appelés à des moins-disant sociaux – emplois, rémunérations… – pour espérer obtenir l’affectation de production. Aujourd’hui la règle, chez Renault, c’est que pour chaque pièce, il y a trois fournisseurs. Et on fait jouer la concurrence entre ces différents fournisseurs. L’unité du groupe s’est disloquée. D’abord au sein de Renault. Puis avec la sous-traitance. Aujourd’hui, 20 % des véhicules sont conçus et fabriqués par du personnel Renault, intérimaires compris. Le reste est sous-traité.
Le quotidien de travail a radicalement changé. On arrive plus à l’usine pour une journée de travail mais pour remplir des objectifs, qui se chiffrent par exemple en nombre de véhicules produits par salarié. Et qui exigent finalement de produire toujours plus, en étant moins nombreux, et pour moins cher. Chacun s’entend dire : en quoi contribuez-vous à l’atteinte des objectifs assignés collectivement ? En évitant de tomber malade, par exemple… Si on n’atteint pas les objectifs, la direction prévient que le véhicule que l’on fabrique pourrait être assemblé ailleurs, là où les salariés sont « meilleurs », en Turquie par exemple.
Des cycles de négociations sont engagés simultanément dans plusieurs sites différents. L’accord de compétitivité de mars 2013, (Un accord de compétitivité dure trois ans) engagé en France, fait peser la menace d’aller fabriquer des voitures en Espagne, ou en Turquie, en échange de la « modération » salariale, de l’augmentation du temps de travail et de la destruction de 8260 emplois. En Espagne, c’est la délocalisation vers la Roumanie ou le Maroc qui est brandie comme une menace. À Flins (Yvelines), on leur a dit « il faut accepter ce qu’on vous propose, sinon, la Clio 4 pourrait être totalement fabriquée en Turquie ». La direction dit désormais aux employés turcs qu’une partie de la production de la Clio 4 va partir en Slovénie…
 Et à l’intérieur de chaque unité de production, c’est la mise en concurrence et le chantage permanent entre les CDI, les intérimaires et les CDD avec des contrats de travail, à la semaine, au mois, au trimestre. Cela permet de faire jouer la concurrence au sein des équipes, sachant que chaque salarié a l’espoir de garder son contrat le plus longtemps possible, que la direction gardera toujours les plus productifs et les plus « calmes ». Cette stratégie génère un sentiment d’opposition quotidien, les salariés ont le sentiment qu’ils se retrouvent entourés d’ennemis plutôt que de collègues. Ce qui change radicalement le quotidien, puisque le travail, par définition, c’est la coopération. En plus, la direction embrouille tout le monde en parlant continuellement de « collaborateurs », en même temps qu’elle crée l’opposition permanente.
Avec le turn-over, les désorganisations successives, le manque de personnel, la réduction des temps de conception et de fabrication… les problèmes et les malfaçons explosent. Il devient intenable pour eux d’accomplir le travail de qualité exigé, alors même qu’ils dépensent beaucoup d’énergie et d’intelligence pour y arriver. Si en plus, à la fin, on leur dit qu’ailleurs ils font mieux pour moins cher… Imaginez les dégâts sur la représentation que l’on a de l’autre. On ferme toute perspective de rencontre et de collaboration. Si on pousse la logique au bout, la direction crée le sentiment que pour survivre, il faut éliminer l’autre.

C’est une logique suicidaire pour l’entreprise mais aussi pour la société toute entière. On casse complètement le tissu social et toute possibilité de solidarité. Ce qui se passe dans le monde du travail est une des causes importantes de la montée du FN. Avec ces divisions permanentes, c’est le pouvoir patronal absolu qui sera encore renforcé avec la Loi Travail... si elle passe !




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