vendredi 26 mai 2023

Parlons franc

Antoine Manessis

Longtemps, la France occupa une place centrale sur l’échiquier international, fruit d’un rayonnement intellectuel et d’une domination politique. 

Aux XVIIIe et XIXe siècles, le français était alors la langue diplomatique de l’Europe. C’était la langue des traités internationaux et des élites cultivées. 

Cette histoire, les nationalistes de droite mais parfois aussi de gauche, n'ont pas l'air de l'avoir compris, est achevée. Finie. Dien Bien Phu et les Aurès sont passés par là. Et c'est tant mieux, même si l'impérialisme français tente désespérément de la faire survivre.

L'anglais a remplacé le français comme langue dominante avec comme soubassement la puissance de l'Empire étasunien. Rien là dedans qui soit une surprise pour des matérialistes. En Chine, que certains illusionnistes veulent faire passer pour communiste, l'enseignement de l'anglais fait partie des trois principales matières à l'école élémentaire et au collège. Même si les autorités chinoises ont évidemment saisi que la langue anglaise porte aussi une vision du monde et tentent de contrer cette domination.  Le gouvernement "veut que nous respections plus la culture et le langage chinois", dit un collégien de Pékin tout en buvant un cappuccino au Starbucks avant d'aller avaler un cheeseburger au McDo du coin... 

Même si la puissance de la Chine fera, fait déjà, que sa langue connait une diffusion internationale. Les entreprises internationales se doivent d’apprendre cette langue s’ils souhaitent être présents sur le grand marché en expansion que représente la Chine. Partout dans le monde, les jeunes étudiants et les professionnels choisissent de se former au chinois. C’est le cas par exemple au Japon où le nombre d’étudiants en chinois ne cesse de progresser chaque année.

Puissance et langue ont partie liée. Nier cela, c'est nier la réalité. Une spécialité chez certains.

Concernant les emprunts aux langues étrangère, le procès est ridicule. Les linguistes et les historiens savent bien qu’une langue ne peut exister sans recourir aux emprunts pour désigner le monde. Jusqu'à maintenant, l’italien restait certainement la langue qui a le plus infusé la langue française et ces italianismes furent déjà perçus comme une menace par les esprits étroits.

Des centaines de mots que nous utilisons tous les jours sont d’origine étrangère. Cela dit, pas de panique pour les francophones angoissés dans les prochaines années, selon l’Organisation Internationale de la Francophonie, on pourrait compter 700 millions de francophones en 2050 dont 85 % vivraient en Afrique.

Des gens qui s'inquiètent de ce que va devenir le français, on en retrouve depuis le XVIe siècle. C'est normal qu'on ait l'impression que la langue nous échappe, que certaines évolutions inquiètent... on vieillit alors que la langue, elle, vit et se transforme. Mais dire que le français va mourir alors qu'elle est une des langues les plus puissantes et  qu'elle a des centaines de millions de locuteurs francophones, c'est faux et franchement ridicule.

Aux prétendus "amoureux de la langue de Molière", rappelons que si l'on prend cette fameuse "langue de Molière", orthographe s'écrit avec un "f". Dans des éditions du Misanthrope, on peut voir que l'orthographe des mots varient dans la même page. Il y a des tildes (un accent qui a disparu en français), et très peu d'accents circonflexes. Les dogmatiques ont du mal avec le fait que la langue évolue. Comme le reste...

L'Académie s'offusque que COVID ne soit pas français et que trop de mots soit anglais. C'est la réalité de la domination économique et du soft-power (désolé) étasunien qui est le problème de l’Académie française, et non pas la langue qui ne fait que refléter cette réalité.

Pour ce qui est de l'aspect ségrégatif qu'aurait l'anglais, puisque non compris par certains, cela est valable pour toutes les connaissances. Et quand c'est le français et sa maîtrise qui ségrègue cela ne semble pas trop choquer nos francophones en folie.

Quant à l'orthographe dont "le déclin" fait si peur à Alain Finkelkraut et ses semblables rappelons-nous que pendant longtemps, on a distingué le fait d'écrire et de mettre l'orthographe, une distinction inhabituelle pour nous. Les écrivains ne se souciaient pas du tout de l'orthographe. Stendhal disait que c'était "la divinité des sots". 

Les empires et les anciens empires mobilisent beaucoup la langue comme argument nationaliste. Le conservatisme, y compris républicain, hostile à la modification de l’ordre de la langue, comme de l’ordre du monde, s'inscrit dans une telle démarche franchement réactionnaire. N'oublions pas que la chaîne C-News titrait : "Entre anglicisme et écriture inclusive, la langue française est-elle menacée?" 

Pour féminiser  les noms de métier (contre l'Académie française ! ) il faudra trois circulaires, en 1998, en 2002 et finalement en 2017. Féminisation à laquelle chacun-e s'est habitué-e et qui ne crée désormais plus aucune polémique. 

Alors haut les cœurs, on peut dire e-mail et non le ridicule mél sans être un collabo de l'Empire étasunien ni menacer la langue et la République. Soyons sérieux : elles en ont vu d'autres et nettement plus menaçants. Pétain parlait sans doute un bon français...

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