dimanche 12 mai 2024

Renaud Van Ruymbeke, une petite oraison

Régis de Castelnau

Renaud Van Ruymbeke vient de mourir. Comme à chaque disparition d’une personnalité connue, on va être confronté au choix entre trois positions.

Celle des romains pour lesquels «De mortuis nihil nisi bonum», c’est-à-dire «d’un mort on ne peut dire que du bien».

Celle de Voltaire pour lequel : «nous devons des égards aux vivants, aux morts nous devons que la vérité».

Celle de Donald Westlake : «d’un mort, si vous ne pouvez pas dire de mal, ne dites rien».

Cette fois-ci, je ne vais pas choisir et je vais m’en tirer lâchement en reproduisant le portrait que je lui avais consacré dans mon dernier bouquin (que vous devriez tous avoir lu, tas de brutes).

Le voilà, «ne varietur» et finalement il fera l’affaire. Renaud Van Ruymbeke était un homme respectable, ils ne sont pas si nombreux.

«Nous dirons également quelques mots concernant Renaud Van Ruymbeke qui incarne bien les contradictions qui ont traversé le corps de la magistrature notamment chez ceux que la presse et l’opinion publique avaient intronisés comme chevaliers blancs. Magistrat vedette, sensible à ce statut mais n’en jouant pas, il affichait une incontestable probité professionnelle, qui fut cependant parfois écornée par des convictions personnelles et politiques. Il était atypique parmi ces « justiciers » qui faisaient la une dans les années 1990 et 2000 mais aussi parmi les militants discrets aux forts engagements politiques, qui vont leur succéder.

Voilà un magistrat de qualité, qui, malgré parfois des comportements limites, a réussi à tirer son épingle du jeu au cours d’une longue carrière qu’il a finalement terminée au pôle financier du tribunal de Paris. Issu d’une famille d’énarques, il avait préféré l’ENM et s’il a plusieurs fois laissé transparaître ses engagements à gauche, on peut difficilement lui reprocher d’avoir essayé de battre monnaie en utilisant sa gloire médiatique. Il s’était signalé au début de sa carrière dans une affaire qui concernait directement Robert Boulin alors ministre qui, victime d’une violente campagne de presse, se suicidera. Cela lui fut reproché. Parmi les réussites, on citera l’affaire Emmanuelli débouchant sur la condamnation de celui-ci alors trésorier du PS, et la reprise de l’affaire Elf saccagée par Eva Joly et Laurence Vichnievsky, avant qu’elles partent se reconvertir dans la politique. Pour les catastrophes, ce fut la fameuse affaire Clearstream où il se fit proprement manipuler par l’État profond et se permit quelques sérieux manquements à la déontologie professionnelle, voire à la loi. Objet d’une procédure disciplinaire que le conseil supérieur de la magistrature (CSM) fit traîner en longueur. Ses fortes sympathies à gauche lui assurèrent la grande mansuétude de Christiane Taubira qui renonça à procéder à la moindre sanction.

Il sera par la suite chargé d’un grand nombre de dossiers financiers spectaculaires, comme la célébrissime affaire Kerviel qu’il réussira à démêler et à rendre claire, ce qui était un exploit. Moins heureux avec l’affaire Karachi qui traînait interminablement, il sera plus efficace avec l’affaire Cahuzac. Il ne put aller bien loin avec Richard Ferrand, dans l’affaire des mutuelles de Bretagne, puisque protection d’Emmanuel Macron oblige, il fut prestement dessaisi par la Cour de cassation. Ceux qui l’ont pratiqué lui ont reconnu une certaine objectivité et un grand professionnalisme. C’est dans les procédures contre le Front National qu’il laissera assez lourdement transparaître ses convictions politiques.

Il prendra sa retraite doté d’une image de rigueur et de probité qu’il ne sont pas très nombreux à partager, dans le petit groupe de ces justiciers adulés par les médias, soutenus par l’opinion et entretenant trop souvent des rapports assez élastiques avec le respect de la loi et des principes. 

Vu du Droit

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