dimanche 2 juin 2024

« Le pays dans la rue, l’économie à l’arrêt... ça les fera moins rire » Frédéric Lordon appelle à la riposte

Frédéric Lordon

Jeudi 30 mai, Frédéric Lordon était présent devant le tribunal judiciaire de Paris en solidarité avec Anasse Kazib. Dans son intervention, il revient sur l'urgence d'une riposte face au durcissement autoritaire.

Je vais vous dire : je ne comprends pas ce qu’on fait là. Pourquoi sommes-nous là ? Pourquoi avons-nous à être là ? On était là en 2022 au commissariat du 5ème. On est là en 2024 au tribunal. Et ça n’est pas parti pour s’arrêter. Combien de temps ce cirque va-t-il encore durer ?

Parce qu’il y a tous les convoqués pour apologie du terrorisme, et bien sûr tu fais partie de la charrette Anasse. Il y a un an avec sursis pour Jean Paul Delescaut. Il y a des députés, des candidates qui sont convoquées. Des syndicalistes, des militants. Personne ne peut jurer qu’il ne se retrouvera pas un de ces quatre matins dans un commissariat à répondre à un interrogatoire politique, un interrogatoire politique ! Qu’est-ce que vous avez dans votre bibliothèque ? Qu’est-ce que vous pensez de cet auteur ? Est-ce que vous adhérez à cette doctrine ? Quelle est votre position sur cette question ? Dans quelle sorte de pays doit-on répondre, se justifier, discuter politiquement devant la police ? Dans quelle sorte de pays on est convoqué pour rassemblement anti-fasciste pendant que les fascistes défilent courtoisement accompagnés par la police ?

On ne pourra pas dire qu’on a été pris par surprise. Depuis un moment déjà, partout des universitaires, des magistrats, des organisations internationales, et jusqu’à l’ONU, avertissent que l’Etat de droit est en train de s’éteindre en France « en train de s’éteindre » : le bel euphémisme. Ca fait un moment que la bougie a été soufflée. La bougie est soufflée quand on est embastillé pour une banderole à la fenêtre, quand des flics viennent recouvrir la devanture d’une librairie, quand d’une bouche sort un propos qui vient offenser le roi Ubu. Et je ne parle même pas des mains arrachées, des yeux crevés, des comas, des morts. Nous sommes un pays particulier qui n’aura pas eu besoin de l’arrivée au pouvoir d’un parti officiellement fasciste pour entrer dans le fascisme.

C’est très bien de faire des phrases en disant qu’il est minuit moins le quart. Mais ça ne va pas suffire. La secrétaire générale de la CGT indique qu’il n’y a pas loin de 1000 syndicalistes pris dans des procédures judiciaires. Et ? Et puis ? On fait des communiqués, on fait des tweets : « Attention on n’est pas contents, on est scandalisés même ». Et ? On attend les 2000 ? On attend que ceux qui résistent vraiment soient convoqués pour avoir cligné de l’œil ? Ou fait un pas dans la rue ? Etre allés chercher le pain ? Je vous le dis : à ce train-là, on va passer de minuit moins le quart à minuit dix sans même s’en apercevoir. En 25 mn exactement.

J’ai vu il y a pas longtemps la candidate écologiste animer une petite chorégraphie au pied de la tour Total. J’espère que Pouyanné était à la fenêtre parce que ça a dû lui faire sa journée. Je pense que chez Macron et Attal, ça doit leur faire de bons moments aussi, notre rallye des commissariats et nos interventions solennelles pour donner l’heure.

Tout le monde sait qu’il y a eu février 34. La riposte antifasciste a été dans la rue, pas sur Twitter. Elle a été à millions dans la rue. Parce qu’il n’y a pas 36 solutions dans ce genre de situation, il n’y en a qu’une. Et d’ailleurs, magie des nombres, derrière 34 il y a eu 36. Pour ceux qui en seraient encore à faire des petits calculs électoraux de boutique dans ce genre de situation, j’indique qu’il y a même là une solution avantageuse.

Il y a dans ce pays quelques organisations, politiques, syndicales, qui ont encore un réel pouvoir de mobilisation. Et qui apparemment savent lire l’heure. Si elles croient qu’il est minuit moins le quart, et en effet c’est l’heure qu’il est, qu’elles se portent à la hauteur de leur responsabilité historique. Qu’elles mettent le pays dans la rue, qu’elles mettent l’économie à l’arrêt. 

Et là, je peux vous dire que les cinglés qui nous gouvernent, ça les fera moins rire.

Révolution Permanente

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