dimanche 2 juin 2024

Macron ou l'hybris* désastreuse

Antoine Manessis

 Macron est dangereux. Pour le moment rien ne l'arrête. Ce qui le rend d'autant plus dangereux. Car c'est un sentiment de toute puissance qui semble l'animer.

Son coup de poker des présidentielles de 2017 a dû lui donner l'impression qu'il réussissait tout ce qu'il faisait. Sans doute a-t-il surestimé son propre rôle dans sa victoire de 2017, oubliant qu'il fut porté sur le pavois par tout le grand capital, toute sa puissance médiatique, le fiasco de la gauche de droite (Hollande), et la corruption de la droite classique (Fillon), et l'utilisation de l'extrême-droite pour apparaitre comme le meilleur barrage au néo-fascisme. Opération recommencée en 2022, plus difficilement, mais suffisamment pour le porter une deuxième fois à l'Elysée.

Toujours est-il que ces deux victoires l'ont sans doute convaincu de ses talents politiques pourtant assez piètres de toute évidence. Toutes ses manœuvres et contorsions font souvent pschitt ! Comme disait le (presque) regretté Jacques Chirac. 

Pourtant nous devons constater que ce petit bonhomme dépourvu de véritable culture, sans aucune épaisseur historique, arrogant et dépourvu d'empathie pour ses concitoyens, et même d'une bonne dose de mépris pour eux, aura fait deux mandats à la présidence de la République. Et si cela s'expliquait non par des qualités qui n'existent pas chez lui mais par le fait que le mouvement populaire ne put jamais constituer un rapport de forces pour faire plier le manager de France SA.

Prenons quelques exemples en politique intérieure et extérieure.

Le mouvement des Gilets jaunes fut sans aucun doute un grand moment politique. 

Qui mobilisa des masses importantes à travers tout le pays. Mais que Macron a finalement vaincu. Avec une répression policière particulièrement violente mais aussi parce que ce mouvement n'était pas franchement organisé, n'avait pas de débouché politique et n'avait pas fait la jonction avec le mouvement syndical. Certes on ne peut pas accabler le seul mouvement mais on ne peut le dédouaner d'une part de sa responsabilité.

Profitant donc de la faiblesse de ses adversaires Macron, par un usage, on l'a dit, très marqué de la violence d'Etat (police mais aussi justice) combinée à une violence symbolique très dure, par d'assez insignifiantes concessions et par une campagne médiatique très massive, est parvenu à terrasser les Gilets jaunes.

L'autre grand mouvement social auquel il fut confronté fut celui de la contre-réforme des retraites

Là encore et même davantage que précédemment , il se heurta à une large majorité du peuple. On se souvient que tous les sondages qui montrait que 70% des gens se prononçaient contre la réforme de Macron et plus de 80% dans le monde du travail. D'énormes manifestations mobilisant des millions de travailleuses et de travailleurs secouèrent le pays. L'unité syndicale, exceptionnelle, favorisa grandement la mobilisation. Pourtant Macron non seulement ne recula pas mais il imposa sa réforme par des moyens anti-démocratiques à coup de 49.3 en série. On l'a dit la mobilisation ne s'est pas traduite par une grève de masse et de ce fait perdit de son efficacité. Non pas à cause de l'Intersyndicale, comme le disent avec facilité les gauchistes,  mais parce que les masses ne voulaient pas et/ou ne pouvaient pas payer le prix d'une grève générale.

Cette fois encore Macron utilisa la violence et les médias pour isoler et pour mater les derniers pôles de résistance. Comme avec les Gilets jaunes il montra un profond mépris pour ces luttes, pour les syndicats, pour la représentation nationale. On se souvient en particulier de la campagne très virulente, déjà, contre le groupe de la France Insoumise à l'Assemblée nationale qui avait vaillament bataillé à l'Assemblée avec ses seuls 17 députés. Macron ne céda rien. 

Il y a quelques jours encore il s'en prend aux chômeurs et aux conditions d'indemnisation dans un mouvement de réaction absolument consternant. Les "assistés", les chômeurs, les "tire-au-flanc" qui profitent de la Sécu en se prétendant  malades, les "salauds de pauvres" quoi sont dans son viseur et sans la moindre gêne. Mais que voulez-vous nous explique une crapule sur France Culture, ailleurs c'est pire. Et oui comme disait Mélenchon "rétablissez donc l'esclavage", en effet ça baisserait le "coût" du travail...Là encore malgré l'excellente déclaration de Sophie Binet, la secrétaire générale de la CGT qui dénonce  "la réforme de l'assurance chômage la plus violente, qui va pénaliser absolument tout le monde", Macron et son clone Attal ne bougent pas d'un pouce. 

En Kanaky-Nouvelle Calédonie, Macron met le feu. 

Tournant le dos à la parole de la République engagée par les accords de Nouméa, Jupiter du haut son Olympe élyséen se pose en négationniste de la colonisation. Il ignore, il méprise le peuple kanak qui manifeste pacifiquement et massivement. Il fait passer une loi qui change le corps électoral et qui assure une majorité aux anti-indépendantistes grâce à la colonisation de peuplement. Un soulèvement légitime secoue l'île, Macron le pyromane passe quelques heures pour rien à Nouméa, jouant au pompier et s'en retourne à Paris sans bouger d'un millimètre et prévoyant toujours la réunion du Congrès et le passage en force, quoi qu'il en dise, de son projet colonialiste.

Pour l'Ukraine, Macron annonce froidement la possibilité d'envoyer de jeunes français se faire tuer dans une guerre inter-impérialiste où les peuples ont tout à perdre et rien à gagner. Se faire tuer pour Poutine ou pour Biden, pour les capitalistes russes ou étasuniens, c'est ce que nous somme de faire le belliciste. Et voici qu'il y a quelques jours, il autorise l'utilisation de missiles français contre le territoire de la Russie au risque de faire de la France un cobelligérant dans une guerre dont il devrait, au contraire, tout faire pour qu'elle trouve une issue négociée et pacifique loin de la paix des cimetières qu'il nous offre. Au lieu d'être une force de paix, la France est en pointe dans un processus guerrier et criminel. Que les citoyens de ce pays refusent massivement et majoritairement cette perspective mortifère, Macron n'en n'a rien à faire ; tel un monarque absolu et fou, il fonce vers l'abîme. Cet homme n'est ni républicain, ni démocrate. C'est un autocrate qui réduit la France en supplétif de l'Empire étasunien.

Et que fait Macron face à la crise aiguë au Proche-Orient? 

Comme toujours il est incapable d'une analyse tant soit peu sérieuse de la situation. Fondamentalement, par nature de classe, il est un complice de l'Etat colonial israélien. Mais il se trouve qu'il est président de la République française qui a, depuis  de Gaulle, "une politique arabe" qui a considéré que l'intérêt à long terme de la France, même d'un point de vue capitaliste, était de jouer un rôle d'équilibre au Proche-Orient.

Macron a jeté cela à la poubelle. Après le 7 octobre, comme avant le 7 octobre, Macron s'est affirmé comme l'allié de Netanyahou et d'Israël. Il s'est présenté comme un "allié inconditionnel" de l'Etat colonial. Il a proposé, à la stupéfaction écœurée du Quai d'Orsay, la constitution d'une "coalition internationale" contre le Hamas. Puis devant le processus génocidaire à Gaza le silence. Refus dans un premier temps d'évoquer même un cessez-le-feu. Refus de la moindre sanction contre Israël. Refus de cesser de fournir des armes à la criminelle Tsahal. Et, ne l'oublions pas, criminalisation de la solidarité avec les Palestiniens. Lors de la première manif pour la Palestine interdite à Grenoble, nous avons vu plusieurs participantes ( dont une ancienne députée européenne du NPA) et participants se prendre des amendes de 150 euros pour leur participation à une manif "interdite".

Finalement, devant le rapport des forces internationales, la Tricontinentale pro-palestinienne, les peuples des pays impérialistes chaque jour davantage aux côtés des Palestiniens, choqués par le grand carnage des enfants de Palestine, l'ONU et sa CJI, de même que la CPI, se mettre à demander le respect du droit international, Macron a fini par se dire "indigné" par le massacre de 50 réfugiés palestiniens brûlés et déchiquetés dans leurs tentes. Des mots trompeurs.

Quelle sanction a été prise par la France contre Israël  après l'indignation présidentielle ? Aucune. Aucune. Aucune.

Avons cesser de livrer des armes aux tueurs ? Non. Non. Non. 

Avons-nous reconnu l'Etat de Palestine, geste politique et symbolique important,  comme l'Espagne, l'Irlande et la Norvège ? Non. "Ce n'est pas le moment" a dit Macron, toute honte bue.

Cet homme est dangereux. Il faut s'en convaincre pour ne pas se réveiller trop tard sachant que la lutte, la démocratie et le nombre sont nos seules armes. Pour le faire reculer, pour une fois.

* Hybris : c'est une notion grecque qui se traduit le plus souvent par démesure. Elle désigne un comportement  inspiré par l'orgueil  et l’arrogance, mais aussi l’excès de pouvoir et de ce vertige qu’engendre un succès trop continu.  

Antoine Manessis

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