samedi 1 juin 2024

Rafah : le génocide comme unique boussole stratégique

Nathan Déas

Le lendemain d’un bombardement à Rafah dont les images insoutenables ont fait le tour du monde, Tsahal a bombardé de nouveaux camps de réfugiés et intensifié ses opérations. Un message clair envoyé au reste du monde.

De massacres en massacres

Les images apocalyptiques qui nous parviennent de l’enclave palestinienne depuis dimanche soir font état d’un nouveau saut dans l’horreur. Tsahal déploie manifestement son aviation pour bombarder massivement des quartiers entiers de la vile et mitrailler depuis les airs la population gazaouie. Selon le ministère de la Santé de Gaza mardi, 46 personnes seraient mortes au cours des dernières 24 heures. Un chiffre qui pourrait être très largement sous-estimé alors que les services de santé de l’enclave et les organisations humanitaires sont complètement dépassées et que de nombreuses victimes sont encore sous les décombres.

Les superlatifs manquent pour décrire l’acharnement avec lequel Israël détruit méthodiquement Gaza. Outre la qualification de « génocide » désormais portée jusqu’en interne de l’ONU et qui a fait l’objet d’une procédure auprès de la Cour internationale de la Justice, la réquisition de poursuites contre B.Netanyahu et Gallant par le procureur de la CPI en début de semaine dernière a participé à fragiliser la position d’Israël à l’international. Alors que, dans ce contexte, les vidéos insoutenables du massacre d’un camp de réfugiés à Rafah dimanche soir ont attisé comme jamais les contradictions extérieures de l’État sioniste, l’état-major israélien semble avoir décidé de répondre (paradoxalement) à cet isolement croissant par de nouvelles tueries de masses.

Deux « évènements » sont particulièrement évocateurs de ce point de vue. Mardi matin, après avoir pris le contrôle du rond-point d’Awda au cœur de la ville de Rafah, les forces israéliennes auraient « profité » de cette nouvelle position pour réaliser depuis le sommet d’un bâtiment surplombant la place un nouveau massacre, fusillant quiconque se déplaçait dans les rues aux alentours selon plusieurs témoins cités par la BBC. Quelques heures plus tard, dans l’après-midi, un nouveau camp de réfugiés, celui de al-Mawasi, était pris pour cible. Bilan provisoire : au moins 21 morts.

L’a-stratégie israélienne

La contradiction apparente entre l’affaiblissement d’Israël à l’international et la poursuite voire l’approfondissement du scénario génocidaire à Gaza (à considérer que l’opération de Rafah a déjà entraîné le déplacement de plus d’un million de Palestiniens selon l’ONU) est en réalité partie prenante de la stratégie d’Israël et du piège dans lequel B.Netanyahu et la coalition d’extrême droite avec qui il gouverne se sont enfermés. Alors qu’Israël semblait avoir repris partiellement la main il y a encore quelques semaines, profitant de la « contre-offensive » iranienne qu’elle avait provoqué pour négocier une opération à Rafah et faire taire les critiques de ses soutiens, l’a-stratégie israélienne lui impose de n’avoir comme unique perspective qu’une permanente élévation du rapport de force.
La volonté d’éradiquer le Hamas est répétée à l’envi, mais les dirigeants israéliens restent bien en peine de réaliser cet objectif (alors que des combats ont repris sur l’ensemble de la Bande, y compris dans les territoires officiellement « sous contrôle ») mais aussi et surtout d’indiquer quel sera l’avenir de l’enclave une fois les combats terminés. Début mai, Benjamin Netanyahu publiait bien un projet cynique de recolonisation de Gaza, prévoyant de transformer l’enclave en une zone d’investissement ouverte aux bourgeoisies arabes. Une direction que refusent de prendre les directions arabes, conscientes du caractère explosif de la question parmi les masses populaires de la région. La seule certitude pour l’heure, c’est qu’il n’est pas question pour Israël de placer l’ensemble de l’enclave, comme en 2005, sous le contrôle du Fatah et de l’Autorité palestinienne aussi « revitalisée » qu’elle puisse être (selon l’expression de Biden en novembre dernier).

Dans ces coordonnées, et en l’absence de projet alternatif viable, l’extrême droite israélienne au pouvoir avance ses pions, menace de quitter la coalition gouvernementale d’un B.Netanyahu extrêmement affaibli dans le cas de la validation d’un scénario plus « modéré » dans la Bande, et finit par dicter le tempo. En même temps, alors que la mobilisation internationale de solidarité avec la Palestine de ces derniers mois a exercé une pression importante sur le gouvernement de Biden aux Etats-Unis ainsi que sur les principaux soutiens d’Israël, notamment la France, l’état-major israélien met en scène sa volonté d’aller jusqu’au bout « de la destruction du Hamas », factuellement du génocide en cours.

Le génocide comme rapport de force

Les massacres de ces derniers jours, dans le contexte sans doute de la plus importante mobilisation à l’international depuis sept mois pour la fin du cauchemar de Gaza, relèvent de ce point de vue davantage du symbole que de l’objectif militaire stricto sensu : montrer par le macabre la détermination de l’état-major israélien à remplir ses objectifs quels qu’ils soient. Autrement dit à nouveau : montrer (ou plutôt afficher) que l’État d’Israël décidera seul de l’avenir de Gaza quand bien même il serait critiqué.

Une tentative de réponse donc, mais surtout une façon « d’instrumentaliser » le génocide en cours comme modus operandi d’un double rapport de force à la fois interne et externe. En interne, alors que les mobilisations anti-Netanyahu ont pour la première fois depuis sept mois posé l’enjeu de « la fin de la guerre à Gaza » ces dernières semaines, le gouvernement remet au cœur de ses discours la fantasmagorie de la « citadelle assiégée ». En externe, dans la continuité des menaces formulées par le dirigeant du Mossad contre la procureure de la CPI ou des critiques acerbes de Netanyahu contre ses principaux soutiens, notamment les États-Unis, malgré leur soutien inconditionnel, Israël cherche à radicaliser le rapport de force.

Dans la situation actuelle, conscient du rôle stratégique d’Israël et de sa centralité dans la politique impérialiste des puissances occidentales au Moyen-Orient, Netanyahu mise sur le maintien d’un soutien inconditionnel tout en s’octroyant davantage d’autonomie. À l’heure où les puissances impérialistes continuent de se refuser à la moindre sanction tout en maintenant leurs livraisons d’armes et de munitions, rien sinon l’extension et le durcissement des mobilisations de ces derniers mois pourra mettre un coup d’arrêt à ce scénario. Sur le temps long cependant, l’a-stratégie de Netanyahu risque bien d’être fatale aux Israéliens eux-mêmes tant l’isolement croissant à échelle internationale de l’État sioniste et les images des massacres depuis sept mois ont marqué une génération et toute une région au fer à rouge. 

Mais le premier ministre israélien n’en a sous doute rien à faire. Il a un génocide à finir.

Révolution Permanente

Aucun commentaire: