dimanche 14 juillet 2024

A gauche : rassembler pour changer

Antoine Manessis

Il va falloir que vienne un jour où les forces de gauche (appelons-les comme on veut si le terme de "gauche" ne convient pas, par exemple révolutionnaires, populaires, de lutte des classes, émancipatrices etc) comprendront comment se comporter entre elles et devant les masses.

Elles comprendront aussi que la condition de leur efficacité répond à deux données politiques fondamentales qui peuvent être contradictoires dans leur traduction concrète: d'une part unir et d'autre part pour changer les choses dans l'intérêt des classes populaires. 

Il n'y a pas de contradiction obligatoire entre ces deux objectifs mais il peut y en avoir si on s'unit sans changer les choses ou si on veut changer les choses sans unir.

Dans les deux cas c'est le fiasco assuré à terme

Unir les masses, cela veut dire les unir pour. Pour un objectif, un projet, là encore appelons cela comme on veut. L'idée à prendre en compte, c'est la charge positive. On peut bien sûr s'unir contre. Mais c'est insuffisant si l'on veut rassembler durablement le nombre, les masses, la majorité du peuple.

Lénine l'a parfaitement compris en 1917. Contre nombre de ses camarades, il rallie l'exigence surgie des masses des peuples de l'empire russe auto-organisés dans les soviets : la paix, la terre, le pain. On imagine bien ce qu'en diraient nos puristes : programme réformiste, en rien révolutionnaire, voire réactionnaire flattant la propriété privée de la terre de la paysannerie obscurantiste. Et pourtant, c'est à partir de ce programme que le processus révolutionnaire va se dérouler en Russie.

1936 

La stratégie du Parti communiste français, c'est d'unir le plus largement possible pour barrer la route au fascisme. Donc avec la SFIO mais aussi avec le Parti radical ( un machin qui allait de la droite à la gauche molle) mais très implanté dans les classes moyennes. Le résultat : un programme commun très modéré qui parviendra à vaincre. De cette victoire va naître un vaste mouvement social, grèves, occupations des lieux de travail...bref un processus qui permet d'aller bien au-delà du timide programme du Front populaire.

Certes, en Russie comme en France, les choses vont tourner d'une façon qui n'apporte sans doute pas toute satisfaction à ceux qui rêvent d'un "Wonderful world". Mais l'histoire est ainsi, elle n'est pas l'application de la doctrine parfaite, elle est le mouvement réel des choses, mouvement lui-même produit par les contradictions du réel.

La leçon n'est pas que nous aurions découvert le remède miracle aux malheurs de l'humanité, mais que pour mettre en mouvement une dynamique sociale et politique il faut l'union, exigée dès 1934, et la perspective crédible d'un changement concret dans la vie des gens, une perspective, nous insistons sur ce point, à laquelle les gens adhèrent.

C'est pourquoi nous disions "Pour". Union et projet sont en synergie, ils se renforcent mutuellement. Le mouvement a besoin des deux. On fait l'union pour changer et on changent quand on est uni.

Aussi devons nous éviter de nous entre-tuer du fait de divergences, aussi légitimes que soient les débats et même la polémique. Mais cela ne peut, ne doit se faire que dans le cadre d'une union à construire et préserver. Union ne voudra jamais dire unanimité. L'union implique par définition de rassembler des gens qui ont des différences et des divergences et dont l'action sera la résultante de ce que veulent les uns et les autres et les rapports de forces qui sont en jeu entre forces différentes mais unies.

Ce que nous voulons donc préciser c'est que nous insulter, nous traiter de traîtres, de déserteurs et d'autres noms d'oiseaux (nous sommes assez imaginatifs pour cela) n'avance à rien. Outre le ridicule public, les masses ne peuvent que désespérer et donc se démobiliser devant de tels comportements. Si nous voulons à la fois rassembler, unir et engager un vrai processus de changement social, il nous faut apprendre à gérer de façon rationnelle et responsable nos divergences. Ainsi entendre des camarades littéralement insulter d'autres camarades avec lesquels ils divergent sur tel ou tel sujet, et cela à l'heure où le RN néofasciste recueille 10 millions de voix, est insupportable et irresponsable.

Pour convaincre que la société que nous proposons sera libre et fraternelle, il faut que notre union implique le respect mutuel et le débat. Et l'adhésion comme la crédibilité à et de notre projet implique qu'il soit attractif maintenant. Et qu'il ne ressemble pas à la Sainte Inquisition ou au socialisme de caserne.

Nous devons faire preuve d'exemplarité dans notre façon de faire vivre la démocratie au sein même de notre rassemblement.

Antoine Manessis

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