lundi 8 juillet 2024

Avec le RN au pouvoir, certaines dérives policières pourraient ne plus être punies

Maxime Sirvins

Christophe Korell, ancien policier, est aujourd’hui président de l’Agora des citoyens, police et justice. Vendredi 5 juillet, l’association a publié un communiqué pour dénoncer des propos qui « flirtent avec le racisme » et appeler à faire front face au Rassemblement national.

Fabien Vanhemelryck, secrétaire général d’Alliance, principal syndicat policier de France, s’est exprimé hier dans Mediapart. Vous avez condamné directement certains de ses propos, comme ceux-ci : « Même mes collègues musulmans en ont marre des raclures, des nuisibles, des jeunes d’origine étrangère dans les quartiers populaires […] qui font chier et qui ne sont jamais sanctionnés. » Qu’est-ce qui a motivé l’Agora des citoyens, de la police et de la justice (ACJP), dont vous êtes président, à prendre position ?

Christophe Korell  : Ses propos dépassent totalement ceux qu’un policier et syndicaliste peut tenir. Les paroles que j’ai lues hier m’ont profondément choqué. Ça m’a exaspéré et je me suis dit que d’autres syndicats et policiers auraient envie de s’exprimer sur cela, mais qu’ils ne le peuvent pas forcément. La période de réserve des autorités doit sûrement faire que le DGPN ne réagit pas, mais on ne peut pas rester sur des propos si infamants portés par un policier. C’est important de dire que beaucoup de policiers ne sont pas en accord avec cela.

À la fin de votre communiqué, vous appelez à faire front face au Rassemblement national. Pourquoi prendre position contre le RN maintenant, au dernier moment ?

D’abord parce qu’au niveau associatif, on a été assez peu présents, tous très pris par nos activités professionnelles principales. Ensuite parce qu’on n’est pas tous nécessairement d’accord politiquement, en interne des nuances s’expriment. Mais cette prise de position, cette clarification était nécessaire. Le risque principal, c’est d’avoir une assemblée RN. Et cela constitue un danger pour notre démocratie. Un certain nombre de policiers voient le RN comme un soutien. On entend beaucoup : « Le RN nous donne raison. » Je pense que ce sont des faux amis et qu’une majorité pourrait surtout mettre en porte-à-faux les agents. Mais heureusement, on a des institutions, des contre-pouvoirs, qui nous protègent, comme le Sénat ou le Conseil constitutionnel, les institutions européennes. Le RN est un parti fondé sur le racisme et même s’il y a un discours de façade pour tout lisser, on n’y croit pas du tout.

Ils disent soutenir les forces de l’ordre, mais demain une fois au pouvoir, ça pourrait poser des problèmes. Côté judiciaire, on a des textes de loi qui sont ce qu’ils sont et qui seront difficiles à modifier. Mais au niveau de l’autorité administrative, est-ce qu’on pourra sanctionner, toujours, les dérives des agents ? On pourrait avoir des chefs de police qui idéologiquement sont proches du RN, et si on met des gens comme Matthieu Valet, ça donnera quoi ? De facto, on pourrait craindre que les dérives ne soient plus punies et qu’il y ait donc une forme d’encouragement qui ne dit pas son nom.

Chez les agents, les choses sont partagées. Certains à droite, voire à l’extrême droite, vont se dire qu’ils vont être écoutés et d’autres craignent vraiment l’arrivée du RN ; certains se posent d’ailleurs la question de leur maintien, au sein de la police nationale, sous un gouvernement d’extrême droite. Par ailleurs, la police est l’image de la société avec les mêmes craintes. Mais être policier, c’est aussi disposer de pouvoirs propres, de la force publique, très importants, vis-à-vis des citoyens.

On dit que la police vote majoritairement à droite et qu’il y a un racisme systémique. Qu’est-ce que vous pensez de ça ?

D’un point de vue personnel plutôt, je n’aime pas le terme « racisme systémique ». Il a tendance à cristalliser les choses de manière négative. Ça crispe tout le monde. Est-ce qu’il y a du racisme dans la police ? Évidemment. Est-ce qu’il est systémique ? Je ne crois pas. Je fais aussi attention à ne pas mélanger racisme et discrimination. Je pense qu’il peut y en avoir, mais pas nécessairement raciale, mais plutôt sociale. La problématique, c’est que n’importe quel jeune de quartier populaire est vu comme un délinquant potentiel. On enveloppe tous les jeunes dans la même case. Même si « 10 % » sont problématiques, « 90 % » ne posent pas de problèmes. C’est une minorité qui dérange tout un quartier, mais tous ces jeunes, ils ont les mêmes codes, etc. Pour certains agents, il y a alors une confusion et ils vont se dire que ce sont tous les mêmes. Donc, il peut y avoir des contrôles discriminatoires et abusifs.

Avec l’ACPJ, nous tentons de créer des espaces de dialogue entre policiers et jeunes. Mais notre « plafond de verre », c’est que les policiers qui viennent croient déjà en ce que nous faisons. L’expérience que je voudrais mener, c’est amener les policiers réfractaires avec ces jeunes, et les faire discuter afin de semer des graines qui leur permettront ensuite une réflexion intérieure et, qui sait, changer à la fois leurs idées, et potentiellement leur façon de travailler. 

Il n’y a pas de fatalité. Mais pour faire ça, il faut une volonté institutionnelle, voire politique, qui n’existe pas actuellement.

politis.fr

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