vendredi 12 juillet 2024

Meloni, Le Pen et nous

Antoine Manessis

Giorgia Meloni, première ministre néo-mussolinienne, poursuit inexorablement son projet de transformation de l'Italie de démocratie libérale en régime autoritaire. Précisons: pas du tout "illibéral" comme le répètent les perroquets médiatiques mais néolibérale et autoritaire. 

Le positionnement des néofascistes par rapport à l'UE et l'OTAN démontre avec force que l'extrême-droite est bien de droite, capitaliste et atlantiste.

La dirigeante italienne a un modèle en vue pour obtenir ce résultat: le modèle bonapartiste français (constitution de la Ve République) aggravé. En plus de l’élection directe du premier ministre, Meloni entend transférer une partie des pouvoirs du président de la République au président du Conseil tout en assurant au camp arrivé en tête des élections une prime de majorité qui lui permettra de gouverner sans opposition. Le parlement serait complètement dépendant du premier ministre en exercice. Le parlement, serait privé de son pouvoir de renverser un gouvernement par la motion de censure. Élu pour 5 ans, le président du Conseil pourrait  récupérer des prérogatives du président italien telles que le pouvoir de dissoudre le parlement. En outre, la victoire, même limitée, aux élections législatives se solderait par l’obtention automatique d’une majorité absolue.

Une telle réforme constitutionnelle vise à démolir la constitution de 1946 issue forces anti-fascistes d’opposition au régime mussolinien et provoquerait une mutation durable du régime italien qui basculerait du parlementarisme à un bonapartisme où l'exécutif est tout puissant.

Par ailleurs, Meloni prévoit d’accorder une autonomie accrue aux différentes régions italiennes. L’autonomie que mentionne la réforme est dans son essence une mesure néolibérale dont les objectifs sont essentiellement austéritaires chaque région aura à montrer qu’elle est capable de financer certaines prestations de soin, d’éducation et d’autres services. "L’autonomie différenciée" a même été critiquée par l’Union Européenne en raison du risque qu’elle pose d’accroître la division entre le nord et le sud. 

Sur le plan budgétaire, chaque région devra en effet financer elle-même ses prestations publiques et ne pourra plus s’appuyer que marginalement sur le budget national : les régions les plus riches pourront ainsi réduire leurs impôts tandis que la qualité, ou ce qu'il en reste,  des services publics dans le sud en particulier sera gravement dégradé.

Casser la Constitution de la Libération, c'est-à-dire un cadre institutionnel qui laisse une place et une possibilité d'action aux forces de gauche a été tenté par Silvio Berlusconi et par Mattéo Renzi (le Macron italien). En vain. Aujourd'hui les néofascistes peuvent espérer y parvenir en passant par la voie référendaire.

En effet, les Italiens ne croient plus que la Constution de 1946 les protège. Cela après les gouvernements "techniques", issus des pressions du capital italien et des chantages de l'UE, de Mario Monti puis de Mario Draghi qui, ralliant dans une "union nationale" l’ensemble des forces parlementaires, y compris la gauche social-néolibérale (parti démocrate), avaient pu imposer une austérité sauvage sans résistance sociale. Il faut dire que la CGIL, le plus grand syndicat italien, en est à inviter Meloni à prendre la parole à son Congrès...

Le texte de Meloni a été approuvé en première lecture par le Sénat, le 18 juin. De plus il faut noter que le projet de Meloni a un volet "réforme" de la magistrature qui prévoit la séparation complète de la formation, des carrières et des statuts des juges et des procureurs, accusés d'être des "rouges". En fait, il s'agit d'assujettir la magistrature à l’exécutif. Et donc s'en prendre à un pilier de l'Etat de droit, la séparation des pouvoirs.

Mais Meloni n'en reste pas qu'aux projets. Elle passe déjà à l'attaque

L’écrivain et journaliste Roberto Saviano (auteur de Camorra) est poursuivi pour diffamation par celle qui allait devenir première ministre d'Italie pour avoir critiqué vertement son racisme anti-migrants. Il encourt de six mois à trois ans de prison. "Il est clair que s’opposer au pouvoir en Italie, qu’il soit criminel ou politique, est très difficile et entraîne de graves conséquences", a déclaré Saviano. De nombreuses ONG dénoncent donc un "procès scandaleux", illustrant une "tendance inquiétante en Italie, où les journalistes et les écrivains travaillent en sachant qu’ils pourraient être poursuivis et emprisonnés pour ce qu’ils disent ou écrivent". 58e place du classement mondial de la liberté de la presse. Il s’agit du plus bas niveau d’Europe occidentale.  

En mai dernier, les journalistes de la RAI s'étaient mis en grève pour dénoncer le contrôle étouffant exercé sur la chaîne par le gouvernement de la première ministre Giorgia Meloni. En avril, la PAI a empêché Antonio Scurati, auteur ayant analysé l'accession au pouvoir de Benito Mussolini, de lire à l'antenne un essai sur la montée du fascisme. Ce dernier reprochait à la première ministre d'être "obstinément attachée à la ligne idéologique de sa culture néofasciste d'origine".

Le petit quotidien progressiste d'opposition Domani est la cible d'un véritable acharnement de la part de Giorgia Meloni : depuis son arrivée au pouvoir en 2022, les actes d'intimidation se sont multipliés, avec la perquisition de ses locaux en mars 2023, et désormais le procès qui vise son directeur Stefano Feltri et l'un de ses journalistes d'investigation Emiliano Fittipaldi. Ils risquent prison et amendes.

La néofasciste a réussi à faire l'union des droites dont rêve le RN

Son gouvernement est composée de la droite (Forza Italia), de l'extrême-droite de Salvini (la Lega) et des néofascistes de Meloni (Fratelli d'Italia). Les néo-mussoliniens sont en position hégémonique car ils ont eu l'habileté politique de ne pas soutenir le gouvernement "d'union nationale" de Mario Draghi, contrairement à tous les autres partis (droite et gauche confondus). 

Alignement sur les intérêts du capital, soumission à l'impérialisme étasunien et soutien dans l'UE à von der Leyen, droite allemande dans sa fraction la plus réactionnaire et belliciste. Meloni comme tous les gouvernements fascistes se révèle la servante zélée du capitalisme. Mais elle le fait à la façon fasciste: anti-démocratique, raciste, liberticide, avec violence, brutalité. Ceux qui croyaient que les néofascistes ne changeraient pas grand chose par rapport aux droites classiques se trompaient. Ils sont en train de constituer un cadre institutionnel, médiatique, idéologique à leur botte. Sans "chemises noires", nous ne sommes pas dans les années 1920, mais avec le même objectif : détruire la gauche, mater les classes populaires, satisfaire sa base de masse raciste er servir la bourgeoisie.

Nous avons obtenu un sursis le 7 juillet. Mais nous savons bien que la menace subsiste. Contre ce danger il faut aussi être radical c'est-à-dire s'attaquer au mal à la racine. D'autant que la bourgeoisie envisage désormais ouvertement une collaboration avec le RN. Les dîners "discrets" entre des pontes de la droite macroniste, tels l'ex-premier ministre Edouard Philippe ou l'actuel ministre de la défense Sébastien Lecornu  et ceux du RN, comme Marine Le Pen et Jordan Bardella, révèlent que la perspective devient de plus en plus crédible. Voire pressante compte tenu de l'existence en France d'un pôle de résistance sociale (la CGT en tête) et politique (la FI comme locomotive). Pôle politique qu'il faut renforcer, structurer et dont les cadres, élus et porte-paroles doivent appartenir aux classes populaires. Ce dernier point n'étant pas un détail. L'absence à l'Assemblée nationale de Rachel Kéké battue de peu (500 voix !) fait regretter certains choix prioritaires de mobilisation sans aucun doute malvenus. 

Il faudra aussi apprendre à faire vivre la diversité d'opinion et la gestion intelligente des différences et des divergences au sein de ce pôle. Dénoncer le "traître", "l'espion" Boukharine en 2024 en France nous apparait comme une vision des choses caduque et même contre-productive au vu des résultats...

Bref nous avons beaucoup de travail pour être à la hauteur de nos responsabilités historiques. Nous avons fait beaucoup, comparons avec nos amis d'Italie, mais faisons...mieux.

Antoine Manessis 

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