vendredi 9 août 2024

Le grand Alexandre

Olivier Cabanel

Alexandre Grothendieck, s’il est connu pour être l’un des plus éminent mathématicien, était aussi surtout un militant anti-nucléaire très actif…

S’il faut en croire Charlie Hebdo, ce sont les évènements de mai 68 qui aurait donné au grand mathématicien la fibre écologique… : « au contact des étudiants rebelles, il prend conscience de l’urgence écologique, concept aujourd’hui banalisé, mais qui à l’époque était vu comme une utopie de chevelus idéalistes ». lien

Plus tard, le 10 juillet 1970, lors de la manifestation contre la centrale nucléaire de Bugey, on a pu le voir à nouveau...lien

Sur ce lien, une audio sur l'histoire de ces mobilisations...

J’étais, avec des amis genevois, et ma guitare, l’un des 15 000 militants, présent ce jour là, grâce aux journalistes de Charlie Hebdo, instigateurs, surtout FournierGébé, Reiser, entre autres, de cette journée riche en évènements…lien

Grothendieck avait pris la parole sur la scène, malgré une sono défaillante, alors que Choron, dans un état éthylique avancé, avait fracassé le piano qui trônait sur la scène, en présence de beaucoup de célébrités connues, ou à venir : Fournier, et toute la bande à Charlie, mais aussi Maxime Le Forestier, Yves Cochet, et tant d’autres... lien

C’est peu de temps après que Fournier créa « la gueule ouverte »…

Grothendieck, de son côté, avait lancé, avec quelques autres, la revue « Survivre et Vivre », et s’il avait viré à l’anti-nucléaire-alisme, c’était d’abord par anti-militarisme, car il ne voulait pas que la recherche puisse être récupérée par les militaires… cette prise de conscience s’est réalisée lorsqu’il a découvert que l’institut dans lequel il travaillait, l’IHES (Institut des Hautes Études Scientifiques) 5 % de ses subsides provenaient de l’armée…alors que cet institut avait été créé pour lui par l’industriel mathématicien Léon Motchane, qui était fasciné par l’intuition et la puissance du travail de ce jeune homme de 27 ans. vidéo

Motchane disait que sa nouvelle vision de la géométrie, inspirée par son obsession de repenser la notion d’espace avait bouleversé la manière de faire des mathématiques. lien

Nommé au Collège de France, qu’il quittera pour devenir professeur à l’université de Montpellier, il rejoint le CNRS en 1984, jusqu’en 1988, et refusera le prix Crafoord, pour laquelle il s’expliquera dans une lettre publiée au Monde, justifiant que « la seule épreuve décisive pour la fécondité d’idées ou d’une vision nouvelles est celle du temps...la fécondité se reconnaît par la progéniture, et non par les honneurs  ».

Il était aussi révolté du déséquilibre écologique croissant causé par une utilisation indiscriminée de la science et de la technologie par des mécanisme sociaux suicidaires et par des conflits militaires liés à la prolifération des appareils militaires et des industries d’armement, ainsi qu’il l’écrivit dans sa revue.

L’adolescent de 16 ans, en 1944, juste le bac en poche, n’avait pas été identifié comme le génie des maths qu’il allait devenir, et avait reçu la médaille Fields en 1966, quasi équivalent du Nobel.

Il n’ira pas la chercher, en Russie, en mémoire de son père emprisonné là-bas, en temps qu’anarchiste, et le directeur de l’IHES ira à sa place. lien

Il la revendra plus tard, car elle était en or, et il avait été surnommé « l’Einstein français  » par de nombreux journalistes, dont Philippe Duroux dans son livre « sur les traces du dernier génie des mathématiques  », Allary éditions 2016.

En 1972, il pose dans « Survivre et vivre  », les bases de sa réflexion : « nous pensons maintenant que la solution ne proviendra pas d’un supplément de connaissances scientifiques, d’un supplément de techniques, mais qu’elle proviendra d’un changement de civilisation ».

Cette pensée prend un étrange sens aujourd’hui... au moment ou le Monde semble prendre une tout autre direction, avec « ses i-phones, son intelligence artificielle, ses voitures électriques... ».

Plus tard, tout en dirigeant sa revue, il tente la vie communautaire, et de nombreux militants viennent pour le rencontrer dans une maison qu’il habite à Massy, en région parisienne…

Un militant limougeois, objecteur de conscience, Jean François Pressicaud, évoque ces rencontres : « on y parlait d’écologie et de non violence et il y avait souvent des mathématiciens de haut niveau comme Pierre Samuel, Denis Guedj, Daniel Sibony (…) on sentait qu’un courant de pensée était en train de naître, tout le monde en avait conscience. »

José Bové, encore jeune homme s’y était même rendu pour récupérer de la nourriture bio. Il se souvient que la distribution des denrées bio se faisait dans son garage…

Aujourd’hui, Bové veut voir les zadistes comme les « enfants de Grothendieck », et il ajoutait : « Grothendieck faisait toujours le lien entre la pensée et la vie de tous les jours (…) il venait comme n’importe qui, au besoin faire le coup de poing contre les gendarmes mobiles, mais sans jamais se mettre en avant »lien

Plus tard, ayant appris qu’au Centre d’Étude Nucléaire de Saclay se trouvaient des fûts de déchets radioactifs fissurés, il s’y fait inviter par la CFDT pour une conférence sur la recherche scientifique.

Fournier le raconte dans un numéro de Charlie Hebdo : « la direction veut bien qu’on philosophe, mais dans la sérénité. Surtout que Grothendieck n’amène pas ses Hippies »... alors, il se fera accompagner par Sibony et Guedj.

La physicienne Bella Belbéoch, raconte cette conférence dans le livre de la chercheuse Sezin Topcu : «  la France nucléaire  » (le Seuil) : « est-ce que vous savez, vous qui êtes là en train de faire de la recherche que vous avez devant vos yeux des fûts qui sont fissurés avec de la radioactivité ? Et çà ne vous intéresse pas ! (…) votre dépotoir, comme tous les dépotoirs de produits radioactifs n’offrent aucune garantie de sécurité ».

Saclay, un peu plus tard, déménagera les fûts fissurés...lien

Beaucoup plus tard, début 1990, le génie rebelle quittera tout ça, se réfugiant dans un village pyrénéen, non loin de Lasserre, en Ariège, fermant la porte à ses propres enfants, ainsi qu’aux mathématiciens, venus de l’autre bout du monde pour le rencontrer…lien

Il y rédigera aussi des textes ésotériques sur la fin du monde, vouant une admiration pour toutes les plantes, engueulant ses voisins qui coupent les mauvaises herbes… et continuera à faire des maths.

À sa mort, à 86 ans, le 12 novembre 2014, on découvrira des milliers de pages dont le mathématicien, Michel Demazure estime qu’« il faudra 50 ans pour les transformer en mathématiques accessibles ». lien

Comme dit mon vieil ami presque africain : « l’humain fait la guerre à la Terre, s’il gagne, il perd  ».... merci Mr Reeves.

agoravox.fr

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