vendredi 2 août 2024

Vers la guerre ? Après Beyrouth, Israël bombarde Téhéran et exécute Ismaël Haniyeh, dirigeant du Hamas

Enzo Tresso

Après avoir exécuté le numéro deux du Hezbollah en bombardant Beyrouth, Israël a poursuivi sa campagne meurtrière en assassinant le chef du bureau politique du Hamas, Ismael Haniyeh, dans sa résidence à Téhéran. La double attaque menace de précipiter la région vers la guerre tandis que le dit « axe de la Résistance » médite sa riposte.

En une nuit, Israël a porté un double coup aux forces du dit « axe de la Résistance ». À Beyrouth, mardi soir, Tsahal a frappé un immeuble résidentiel de la banlieue sud de la ville, tuant le numéro deux du Hezbollah, Fouad Chokor, dirigeant militaire du parti et membre du Conseil exécutif du mouvement. Quelques heures plus tard, Ismael Haniyeh était assassiné, dans son logement, dans des circonstances troubles, en plein cœur de la capitale iranienne. La double exécution du chef du bureau politique du Hamas et du dirigeant de la branche militaire du Hezbollah marque un saut significatif dans l’affrontement entre Israël et les partis palestinien et libanais. En l’espace de quelques heures, Israël aura ainsi procédé à une escalade démesurée et porté les équilibres régionaux à un niveau d’instabilité critique.

L’ombre de la guerre régionale s’élargit

Les frappes israéliennes, qui répondaient à la mort tragique de douze adolescents après un tir dans le Golan syrien, qu’Israël imputait au Hezbollah, ont pris de court l’ensemble des chancelleries occidentales et, au premier rang desquels, les Etats-Unis. Alors que Washington avait indiqué à l’Iran qu’Israël ne viserait pas Beyrouth et se contenterait de frapper un entrepôt stratégique, Israël s’est affranchi des recommandations étatsuniennes et a fait le choix d’une escalade dont les conséquences sont imprévisibles. Alors que les appels à la diplomatie n’ont cessé de se multiplier, ces dernières heures, Israël semble ne plus tenir compte des recommandations des Etats-Unis et pousse dangereusement la région vers une guerre dans laquelle Washington sera contraint d’intervenir.

À peine quelques heures après la frappe sur Beyrouth, la région s’est mise sur le pied de guerre. Après l’envoi de deux navires de guerre britanniques près de Chypre, les Etats-Unis ont dépêché une flottille au large des côtes israéliennes, trois bâtiments (l’USS Wasp, l’USS Oak Hill et l’USS New York) transportant près de 2200 soldats. Le Hezbollah a mis en alerte ses forces militaires et relocalisé ses stocks de munition tandis qu’Israël a décrété l’état de mobilisation générale et se prépare à appeler ses réservistes en cas d’urgence.

L’assassinat d’Ismael Haniyeh a encore aiguisé la poussée vers la guerre. L’Iran jure de se venger tandis que le bureau politique du Hamas, durement frappé par la mort du chef de sa diplomatie, a indiqué que la mort de son leader « aurait des conséquences régionales ». Si les négociations entre Israël et le Hamas au sujet d’un cessez-le-feu à Gaza sont gravement compromises par les frappes israéliennes, la région n’a jamais été aussi proche de tomber dans le vortex de la guerre. La frappe pourrait également susciter des mouvements de révolte en Cisjordanie où le Hamas jouit d’une très forte popularité. À l’heure actuelle, la grève générale a été décrétée dans les territoires occupés tandis que plusieurs milices ont coordonné des attaques dans les environs d’Hébron.

Après dix mois de riposte et de contre-riposte, le Hezbollah, le Hamas et l’Iran s’apprêtent à nouveau à répondre, au risque cependant qu’une riposte mal calculée ne fournisse à Israël le casus belli qu’il espère. Si le Hebzollah et, derrière lui, l’Iran n’ont aucun intérêt à entrer en guerre, le coup porté par Israël est trop fort pour être laissé sans réponse. Frappant au cœur de Téhéran un dirigeant invité à la cérémonie d’investiture du nouveau président, Israël a humilié la République islamique, dont les services de sécurité n’ont pu empêcher l’attaque et le Hezbollah et l’Iran pourraient être contraints de répondre avec force pour sauver leur prestige. L’Iran peut toutefois se permettre plus de retenue, étant donné que le leader assassiné sous sa garde n’était pas un membre du haut commandement de la République Islamique. Si l’ombre de la guerre s’élargit, elle n’est pas encore inévitable.

Une riposte extrêmement périlleuse

Au cours des dix derniers mois d’affrontement, le Hezbollah a répondu traditionnellement à l’assassinat de ses dirigeants par une démonstration de force, aussi calibrée que symbolique. Après la mort, en juin, de deux de ses généraux, Taleb Abdallah et de Mohamed Nasser, le parti mettait en branle ses forces et procédait à un vaste tir de barrage, tirant généralement entre trois cents et quatre cents missiles et roquettes contre des positions militaires israéliennes. Après la mort d’un de ses dirigeants principaux, une riposte de cet ordre apparaîtrait cependant bien trop faible au regard de la perte que le parti a subie.

Si ce scénario parait improbable, le Hezbollah pourrait également s’inspirer la réponse que l’Iran avait opposée à la mort de Mohamed Reza, tué lors d’une frappe sur l’annexe du consulat iranien à Damas, début avril. La République Islamique se trouvait alors face un dilemme analogue : elle ne pouvait pas ne pas répondre mais devait à tout prix empêcher une guerre. En lançant trois cents missiles et drones depuis son territoire, dans la soirée du 13 avril, Téhéran endossait, pour la première fois, la responsabilité d’une attaque directe contre Israël tout en offrant à Israël et ses alliés suffisamment de temps pour intercepter les projectiles. Toutefois, une riposte de cet ordre depuis le Liban pourrait très vite dégénérer et il serait impossible de la calibrer aussi précisément.

Une attaque simultanée, partant à la fois de la bande de Gaza, où le Hamas conserve certaines positions, du Liban et d’autres territoires sous hégémonie iranienne n’est également pas à exclure. Le Hezbollah a, par le passé, déjà délégué certaines attaques aux Houthis yéménites, qui étaient parvenus à frapper Tel-Aviv avec un drone explosif. D’après l’Orient-le-jour, l’Iran a convoqué ce matin le Conseil suprême de sécurité nationale élargi, invitant le général Houssein Salami, commandant des forces al-Qods, à participer à la réunion. Chef des troupes de choc iraniennes, le général est chargé des relations entre l’Iran et ses alliés. Si les conclusions du Conseil ne sont pas encore connues, il pourrait décider d’une attaque coordonnée, plus symbolique que stratégique.

Il est également à craindre que le Hezbollah et l’Iran décident d’intensifier significativement leurs opérations. S’ils veulent éviter la guerre, il semble cependant qu’une partie de l’état-major de l’axe de la résistance commence à considérer qu’elle est à terme inévitable et qu’il vaudrait mieux la mener maintenant que la subir plus tard. Lors de la riposte d’avril, le haut commandement militaire iranien avait en effet rompu avec sa stratégie de riposte habituelle, imposant, selon les mots du chef d’état-major, une « nouvelle équation » : l’Iran répondrait désormais coup à coup aux agressions israéliennes et affronterait directement Israël sans déléguer l’attaque à ses proxies. En dépit de ses fanfaronnades habituelles, le régime a toujours trouvé des prétextes pour ne pas se plier à sa propre doctrine. Mais l’extrême volatilité de la situation et le fanatisme des dirigeants israéliens pourraient rallier le reste de la bureaucratie pasdare aux positions dures des faucons de Téhéran qui estime qu’il faut mettre un frein à l’audace de Tel-Aviv.

La question n’est au fond pas de savoir quelle sera la riposte que les composantes du dit « axe de la Résistance » opposeront à Israël, mais plutôt de savoir comment l’Etat colonial y répondra à son tour, et si celui-ci pourrait se lancer dans une offensive embrasant la région, en entraînant derrière lui les puissances impérialistes. Au regard de la situation et de l’opportunisme tactique de l’Etat colonial, la possible extension de la guerre coloniale de Tsahal, avec la complicité des puissances impérialistes, au Liban, voire à la région toute entière, n’est plus à écarter. 

Face à ce scénario noir, la construction d’un mouvement anti-colonial et anti-guerre international, qui exprime sa solidarité avec le droit à l’auto-détermination du peuple palestinien et cherche à arrêter la machine de guerre israélienne, est d’une importance cruciale et le mouvement ouvrier doit y jouer un rôle central.

Révolution Permanente 

Aucun commentaire: