Koldo Campos Sagaseta
Il y a des gens qui pensent que l’amnésie est une maladie mentale, une grave affection causée par des lésions pathologiques ou par la sénilité et qui provoque la perte de mémoire. Or le jugement des gens s’avère aussi inexact que le dictionnaire est erroné.
L’amnésie — et toute personne qui en bénéficie me donnera entièrement raison — est un des plus grands bienfaits dont nous disposons, nous, les humains.
Grâce à elle, les crimes les plus répugnants sont confinés au silence, bien protégés de la rumeur populaire dans des archives officielles pour que les assassins puissent blanchir leurs noirs dossiers et pour que la société puisse continuer d’applaudir leurs vertueuses carrières, car l’amnésie se chargera de transformer le voleur en honnête citoyen, la canaille en bienfaiteur, le pécheur en saint homme et le fieffé menteur en journaliste.
L’amnésie possède en outre la propriété de nous vacciner, en une seule dose, contre n’importe quel éventuel soupçon et comme elle est contagieuse, après exhortation par quelques illustres érudits dans l’art de l’infamie, nous pouvons, nous, les citoyens innocents, continuer à mener notre paisible existence.
Il n’y a pas de crime, aussi exécrable soit-il, que l’amnésie ne puisse reléguer dans l’oubli insoluble ; il n’y a pas de vol, aussi lumineuses qu’en soient les évidences, que l’amnésie ne sache convertir en honnête patrimoine ; il n’y a pas d’escroquerie, aussi grossière soit-elle, que l’amnésie ne parvienne pas à transformer en patriotique saga.
Il n’est même pas nécessaire que le temps, ce temps qui fait s’évanouir même ce qui est indélébile, efface les vestiges du crime parce qu’avant même que le sang n’ait séché l’assassin aura déjà été acclamé comme un providentiel bienfaiteur et glorifié.
Et ils sont tellement nombreux ces délinquants impunis qui officient en qualité de notables démocrates qu’il ne nous reste même pas à nous, les humains, l’espoir de gagner le Ciel dans une autre vie, car pas même à la droite du Seigneur nous ne serions en aussi bonne compagnie.
Koldo Campos Sagaseta
Traduit par Manuel Colinas Balbona pour Le Grand Soir
Photo : Boris Leonardo Journaliste cubain, havanais
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