Au cours de ces derniers mois, le gouvernement israélien a intensifié ses accusations que l’UE emploie un « deux poids deux mesures » par rapport à Israël.
D’après le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, « il y
a une tendance naturelle dans l’establishment de l’UE à prendre Israël
pour cible et à le menacer avec des façons auxquelles les autres pays ne
sont pas confrontés ». Cette allégation d’un deux poids deux
mesures est devenue le point d’achoppement essentiel en ce qui concerne
l’Europe, répété à chaque occasion.
Aussi, vérifions donc les faits. Ce que prétendent les Israéliens
est-il vrai ? L’Europe demande-t-elle à Israël de respecter des règles
différentes qu’aux autres pays ?
Eh oui : il se trouve que Netanyahu a tout à fait raison. L’Europe
applique, effectivement, des deux poids deux mesures envers Israël –
sauf qu’il se trouve que tous sont à l’avantage d’Israël plutôt que
l’inverse. En voici six exemples.
Les droits de l’homme
L’UE n’a aucun sous-comité pour les droits de l’homme avec Israël,
bien que de tels organismes fassent partie intégrante des relations de
l’UE avec les pays méditerranéens partenaires, du Maroc au Liban.
Il y a des années, l’UE céda devant le refus d’Israël et accepta à la
place un simple groupe de travail informel sur les droits de l’homme.
De la même façon, le plan d’action UE-Israël mis en place durant les
dix dernières années comporte les engagements les plus minimes de tous
les plans d’action de l’UE avec les pays voisins.
Bien que l’UE entretienne des relations plus profondes avec Israël
qu’avec tous les autres pays de la région, la question des droits de
l’homme fut inscrite tout au bas de la liste des priorités.
La Cour pénale internationale
L’UE soutient vigoureusement la Cour pénale internationale (CPI).
Elle utilise les accords de commerce et de développement qu’elle a avec
beaucoup de pays pour encourager ceux-ci à adhérer à la Cour de La Haye,
et elle a retiré son aide au Soudan et au Soudan du Sud qui avaient
refusé.
Mais dans le cas de la Palestine, les plus importants États de l’UE,
dont le Royaume-Uni et la France, firent pression sur le Président
Mahmoud Abbas pour ne déposer aucune demande d’adhésion, au motif que
cela pourrait conduire à des poursuites contre les Israéliens et contre
les Palestiniens pour crimes de guerre.
À l’époque, ils prétendirent qu’une participation de la CPI pourrait
miner le (défunt) processus de paix israélo-palestinien. Pourtant, ces
mêmes gouvernements déployèrent des efforts afin de faire adhérer à la
Cour d’autres pays engagés dans des conflits – le Soudan, la Libye et la
Syrie – via le Conseil de sécurité des Nations-Unies, et ils
condamnèrent la Russie et la Chine pour avoir bloqué le dossier dans le
cas de la Syrie.
Quand la Palestine rejoignit finalement la CPI, en avril 2015, ce fut
la première fois que l’UE ne publia aucun communiqué de félicitations.
Les sanctions
L’UE applique des sanctions contre plus de 30 pays à travers le
monde. Les sanctions semblent être devenues sa réponse par défaut aux
défis internationaux, avec leur utilisation qui s’est massivement accrue
ces dernières années.
Mais Israël n’est pas sur cette liste.
Et ceci, en dépit de ses violations notoires, à grande échelle, du
droit international et des droits humains dans les territoires occupés,
violations qui rendent, qui plus est, la solution pacifique avec deux
États au conflit pratiquement impossible ; l’expansion des colonies de
peuplement en Cisjordanie n’en est qu’un exemple. Pourtant, l’UE
n’applique même pas les sanctions les plus modérées contre ceux qui
poussent à l’expansion coloniale, ou contre les colons extrémistes qui
agressent violemment les Palestiniens et détruisent leurs biens.
Les rares mesures que l’UE a prises à ce jour – tel l’étiquetage
différencié pour les produits des colonies – ne constituent pas des
sanctions comme Israël aime à les qualifier. Elles ne font qu’assurer
une application correcte de la législation existante de l’UE relative à
sa non-reconnaissance d’une souveraineté israélienne sur le territoire
palestinien occupé.
Par contre, pour souligner sa non-reconnaissance de la souveraineté
de la Russie sur la Crimée, l’UE a imposé de vraies sanctions, d’une
portée considérable, notamment en interdisant tout commerce et
investissement dans la péninsule.
La sécurité
L’UE met souvent en avant son engagement pour la sécurité d’Israël,
mais elle fait rarement mention de la sécurité des Palestiniens. Ceci en
dépit du fait que ces derniers ont souffert de niveaux d’insécurité
plus inquiétants et de loin, et d’un nombre beaucoup plus élevé de
victimes durant les décennies de conflit.
L’UE affirme qu’Israël a le droit de se défendre contre les attaques
palestiniennes, mais elle n’a jamais dit si les Palestiniens avaient un
droit à se défendre contre les attaques israéliennes, dans les limites
du droit international.
L’UE appelle aussi régulièrement les groupes militants palestiniens
de la bande de Gaza à mettre fin à leurs tirs de roquettes et de
mortiers sur Israël, mais elle n’appelle pas Israël à limiter ses
agressions quasi-quotidiennes, qui sont reconnues aussi comme violant le
droit international.
En 2015, il y eut 35 attaques depuis Gaza, des attaques qui ne
causèrent aucune victime et aucun dégât chez les Israéliens. Durant la
même année, les forces israéliennes conduisirent 56 raids dans la bande
de Gaza et ouvrirent le feu sur des Gazaouis dans plus de 600 cas, tuant
25 Palestiniens et en blessant plus de 1300.
Ces incidents ciblèrent souvent des civils qui ne représentaient
aucune menace. Pourtant, les dernières conclusions du Conseil de l’UE
sur le conflit ne prennent en compte, une fois de plus, que les tirs de
roquettes par les militants palestiniens.
Les principes du Quartet
Dans le cadre du Quartet, l’UE exige que tout gouvernement
palestinien reconnaisse Israël, qu’il accepte les accords antérieurs et
qu’il renonce à la violence.
En 2006 et 2007, l’UE boycotta financièrement les gouvernements
palestiniens, qui comprenaient le Hamas, car ils ne s’engageaient pas
sur ces trois principes. La position de l’UE contribua à la scission
politique désastreuse entre Gaza et la Cisjordanie qui perdure encore
aujourd’hui.
Pourtant, ni le Quartet, ni l’UE, n’ont exigé que le gouvernement
israélien adhère à ces mêmes principes. En réalité, Israël aurait du mal
à satisfaire à l’épreuve : car il n’a pas reconnu la Palestine, il ne
respecte pas les points essentiels des accords passés, dont les Accords
d’Oslo et la Feuille de route, et il recourt fréquemment à la violence
pour maintenir son occupation.
Mais plutôt que de faire appliquer ces mêmes principes tant aux
gouvernements palestiniens qu’aux gouvernements israéliens, le Quartet
les employa comme exigences unilatérales.
Les armes nucléaires
L’Europe tolère l’arsenal d’armes nucléaires non déclaré d’Israël et qu’il échappe à toute inspection internationale.
En fait, ce sont la France et la Grande-Bretagne qui, secrètement,
aidèrent Israël à obtenir « la bombe » dans les années 1950 et 1960.
L’Allemagne fournit toujours Israël en sous-marins subventionnés par son
gouvernement, tout en sachant, semble-t-il, qu’Israël les équipe de ses
missiles nucléaires.
Les Européens s’opposent souvent par leur vote aux résolutions
demandant à Israël d’adhérer au Traité de non-prolifération (TNP), ce
qui ouvrirait ses installations nucléaires aux inspections.
Le contraste est saisissant avec l’immense pression que l’UE met sur
l’Iran afin qu’il restreigne son programme nucléaire, en dépit des
différences entre les deux cas.
Indéniablement, les Européens – et les Allemands en particulier – ont
une dette historique envers la population juive, qui influe sur leur
position concernant les armes nucléaires d’Israël. Mais il n’en existe
pas moins un deux poids deux mesures qui favorise Israël.
Redresser le déséquilibre
Certaines incohérences en politique étrangère sont inévitables –
Israël n’est pas le seul domaine où l’UE se rend coupable de deux poids
deux mesures. Les raisons du traitement privilégié d’Israël par l’Europe
sont multiples, et beaucoup sont faciles à comprendre : affinité
culturelle, culpabilité historique, sympathie pour les démocraties, et
admiration pour les réalisations culturelles et scientifiques (et aussi
pour les lobbies pro-Israël organisés).
Mais l’Europe a toutes les raisons de redresser son approche
déséquilibrée du conflit israélo-palestinien et d’être plus impartiale.
Après tout, comme le gouvernement israélien le dit très justement, le
deux poids deux mesures « empêche l’UE d’être un médiateur sincère dans le conflit ».
Et alors qu’il n’existe aucun médiateur efficace, qui soit prêt à
faire respecter les mêmes règles aux deux côtés, la possibilité même
d’une solution pacifique est en train de disparaître rapidement, nous
promettant plus de violence et d’instabilité aux portes de l’Europe, et
plus de poids à un extrémisme mondial dans les décennies à venir.
Martin Konecny dirige le Projet européen pour le Moyen-Orient (EuMEP), une ONG basée à Bruxelles.
Source : EUOberserver
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