vendredi 29 novembre 2024

Cessez-le-feu au Liban : la fin de la guerre, vraiment ?

Nathan Deas

Le cessez-le-feu entre le Hezbollah et Israël pourrait bien n’être qu’une trêve temporaire.

Près de 400 jours après l’ouverture par le Hezbollah du front du Liban-Sud en « soutien » à Gaza, et plus deux mois après l’escalade majeure opérée par Israël, les deux belligérants ont signé un accord de cessez-le-feu, entré en vigueur mercredi 27 novembre à 4 heures, heure locale (3 heures, heure de Paris).

L’accord, négocié par l’envoyé spécial étasunien au Liban, Amos Hochstein, a vu le jour après plusieurs semaines de tractations, dans lesquelles les Etats-Unis et la France ont joué un rôle important. Le président américain encore en exercice, Joe Biden, et le président français, Emmanuel Macron ont ainsi salué conjointement mardi soir l’annonce de la mise en œuvre du cessez-le feu, après l’approbation du texte par le cabinet de sécurité israélien.

L’accord « créera les conditions nécessaires au rétablissement durable du calme et permettra le retour en toute sécurité dans leurs foyers des habitants des deux côtés de la « ligne bleue » », la frontière entre les deux pays tracés par les Nations unies, ont-ils déclaré dans un communiqué commun. Un son de cloche repris par les dirigeants occidentaux et la « communauté internationale » qui ont appuyé l’accord et de nouveau apporté leur soutien à l’Etat d’Israël, qui continue de commettre un génocide à Gaza.

Comme un symbole, mercredi matin, la diplomatie française s’est empressée d’annoncer, après qu’Israël ait affiché pendant plusieurs jours sa volonté d’écarter Paris du comité de surveillance de la 1701, que Netanyahu bénéficierait d’une « immunité » sur le sol hexagonal en réaction au mandat d’arrêt émis par la cour pénale internationale (CPI) à l’encontre du chef d’Etat israélien. Le « droit international » à géométrie variable, une fois de plus. Un rappel également qu’une solution durable ne pourra venir des négociations de ceux qui sont les principales causes de la situation actuelle au Moyen-Orient.

Quelles qu’aient pu être cependant les tractations sous-jacentes et par-delà les effervescences hypocrites des soutiens d’Israël, ce cessez-le-feu n’en reste pas moins une mesure bienvenue. Et une amélioration de la situation désespérée de millions de Libanais que Tsahal a mis sur les routes de l’exil. Les images, ce mercredi, de familles rentrant chez elles ont réchauffé le cœur de tous ceux qui scrutent avec une infinie tristesse les développements terrifiants qui sont le quotidien du Moyen-Orient depuis plus d’un an.

Mais ces scènes ne sauraient faire oublier que dans le même temps, les massacres se poursuivent à Gaza où l’application du plan « famine et extermination de Tsahal » menace plus que jamais d’une recolonisation, à minima, du nord de la Bande. Et que la situation au Liban, elle, reste extrêmement précaire.

Alors que Tsahal a réalisé une campagne de campagne de bombardements extrêmement brutale sur Beyrouth dans les heures qui ont précédé la signature du cessez-le-feu, Netanyahu a insisté sur le fait qu’Israël conserverait une marge de manœuvre complète et qu’il n’entendait pas mettre fin à la guerre au Liban [1]. Le point 4 de l’accord souligne dans cette perspective que le droit à la « légitime défense » ne saurait être remis en question et introduit une brèche qui pourrait légitimer les opérations israéliennes sur le territoire libanais.

L’accord de cessez-le-feu comprend également une période de transition de 60 jours durant lesquels Israël devrait retirer ses forces du sud du Liban, à condition que le Hezbollah déplace son armement lourd, ses infrastructures et ses combattants au nord du fleuve Litani. L’armée libanaise, soutenue par la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL), prendra le contrôle de la zone, sous contrôle aérien d’Israël et d’un comité de supervision composé des Etats-Unis, de la France, de l’ONU, et du Liban.

Toutefois s’il est très probable que, dans un premier temps, une procédure initiale de désescalade soit appliquée, d’éventuels affrontements sporadiques risquent de saper les perspectives d’un cessez-le-feu permanent. Ce scénario pourrait résonner avec celui de 2006, lorsque l’Etat d’Israël avait été contraint d’arrêter son agression au Liban en s’appuyant sur une résolution internationale qui n’offrait aucune garantie réelle pour sa mise en application.

Si l’accord signé ce mardi est en grande mesure fondé sur la résolution 1701 qui avait mis fin à la précédente guerre entre Israël et le Hezbollah, la situation est cependant très différente aujourd’hui. La première différence, et la plus importante, est que les forces armées sionistes ont infligé au « parti de Dieu » des dégâts beaucoup plus importants qu’ils n’avaient été en mesure de le faire en 2006. Bien que le Hezbollah soit toujours en mesure de cibler Israël par ses missiles, le conflit a été à sens unique, les pertes d’Israël étant très largement inférieures à celles du Hezbollah. L’organisation est beaucoup plus faible qu’elle ne l’était il y a un an, nombre de ses dirigeants sont morts et son prestige a été terni.

La seconde différence est que les Israéliens ont appris les « leçons de 2006 et de 1701 », à l’instar de ce qu’a récemment déclaré l’ambassadeur de l’Etat hébreu aux Nations Unies, et seront probablement soucieux de vérifier que le retrait complet des forces du Hezbollah au nord du fleuve Litani sera cette fois effectif. Ils chercheront également à empêcher l’Iran à réarmer le parti à travers le territoire syrien. Israël a exigé des garanties officielles des Etats-Unis au sujet de ces deux questions, tout en préservant sa liberté de frapper tout mouvement qui contredirait l’accord. Une stratégie multiforme, impliquant notamment un contrôle direct ou indirect (par voie de frappes aériennes israéliennes) de la frontière orientale du Liban pour empêcher toute reconstitution de l’arsenal de la milice est envisageable.

Dans le prolongement naturel de 1701, et de la mise sous tutelle internationale du sud du Litani, l’objectif évident est de parvenir à mettre en œuvre la résolution 1559 de l’ONU -qui prévoit le désarmement du Hezbollah. Que les choses aillent dans cette direction ou que l’affrontement des buts poursuivis conduise à un nouveau cycle de guerre par procuration, cette fois entre l’Iran d’un côté et les Etats-Unis de l’autre, la question reste ouverte.

L’ampleur de la déroute militaire de la milice chiite est encore à déterminer. Et la grande incertitude consiste à déterminer quelle sera la réponse de l’Iran. Difficile de ne pas constater comment Téhéran, après avoir insisté sur le rejet par le Hezbollah d’un cessez-le-feu au Liban avant un cessez-le-feu à Gaza, a changé de position. Certains analystes ont attribué cette évolution à la crainte d’une participation de Washington à une prochaine attaque israélienne, et contre les capacités nucléaires de l’Iran, dans les coordonnées du retour de Trump à la Maison Blanche.

Si cette dernière estimation est correcte et que Téhéran cherche à conclure un « accord » avec Trump, le prix à payer sera le désarmement et l’engagement de ses "proxies" régionaux, principalement le Hezbollah, dans la construction d’un Etat national plutôt qu’un Etat parallèle, mais aussi un renoncement sur le programme nucléaire iranien. Cette perspective est d’autant moins certaine que les services de renseignement étasuniens ont rapporté en juillet que « l’Iran continuait d’augmenter la taille de son stock d’uranium, sa capacité d’enrichissement, la fabrication et l’exploitation des centrifugeuses avancées ».

En toile de fond, les contradictions israéliennes se maintiennent. Le succès des négociations ces derniers jours est dû en grande partie à la lassitude et aux difficultés suscités par l’effort de guerre. Plusieurs rapports, ces dernières semaines ont indiqué que les réservistes israéliens ne répondaient plus pleinement aux appels à la mobilisation, compliquant la capacité de Tsahal à mener des opérations terrestres.

Après les mandats d’arrêts internationaux émis par la CPI contre Yoav Gallant et Benjamin Netanyahou, la signature d’un cessez-le-feu a tout d’un gage donné aux puissances impérialistes, comme le revirement de la France en témoigne. En outre, Netanyahou s’est montré très clair sur les objectifs qui justifiaient la cessation temporaire des hostilités. Dans son discours, hier soir, le Premier ministre a avancé trois motifs : « Il y a plusieurs raisons pour ce cessez-le-feu. Nous voudrions nous concentrer sur la menace iranienne, nous voulons donner du temps à notre armée pour se reposer et pour mobiliser plus de soldats. Il est vrai qu’il y a certains délais dans la livraison des équipements et il nous faut attendre. Enfin, pour isoler le Hamas : il était nécessaire de mettre le Hezbollah hors du cadre ».

Alors que le Hezbollah conserve cependant la capacité à frapper lourdement le territoire israélien, Israël se retrouve forcé d’abandonner ses objectifs maximalistes. Une situation qui pourrait participer à renforcer en interne le durcissement autoritaire de la société israélienne. Du côté de « l’opposition », Gantz et Lapid se sont d’ores et déjà opposés au cessez-le-feu. L’extrême droite de Ben Gvir, le ministre de la Sécurité nationale de Netanyahu, a de son côté qualifié l’accord de « piège historique ».

Une conjonction qui depuis des mois a participé de façon cruciale aux tendances à la régionalisation de la guerre. La seule certitude dans ce contexte est que le cessez-le-feu avec le Hezbollah n’a rien résolu de ces contradictions ni offert de réponse durable à l’aporie stratégique israélienne. Dans ce contexte, le cessez-le-feu pourrait très bien n’être qu’une nouvelle trêve temporaire dans une confrontation multiforme qui a commencé il y a plus de quarante ans avec la fondation du Hezbollah, et même six ans plus tôt avec la naissance de la « République islamique ».

Et qui prend sa source plus tôt encore : à la naissance de l’Etat israélien et avec l’émergence de la question nationale palestinienne.

[1Dans un discours prononcé à la télévision israélienne, à 19 heures française, le premier ministre israélien a expliqué : « Ils disaient que nous ne pourrions pas retourner nous battre, lorsque que nous avons signé un cessez-le-feu avec le Hamas. Mais nous sommes retournés nous battre. Ils pensaient qu’à cause de la pression internationale, nous ne nous emparerions pas du corridor de Philadelphie et de Rafah. Nous avons réussi à le faire. Nous faisons ce que nous disons et notre détermination à obtenir la victoire est intacte ».

Révolution Permanente 

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